
Je viens d'achever la lecture d'un bouquin épatant. C'est ce qui a fait naître en moi le désir de partager, avec les lecteurs réunionnais, le grand intérêt et l'immense plaisir que j'ai pris à lire ce remarquable ouvrage.
De quoi s'agit-il ? Eh bien, pour définir d'un mot la nature de ce livre, lequel a pour titre « Savanna » et pour sous-titre « Les aventures de Louis Payen » (Editions Orphie, 15€), je dirai que c'est là, tout bonnement, ce que l'on nomme un « roman historique ». Son auteur, Yvan Lacanal, un professeur d'Arts Appliqués de Saint-Pierre, s'est en effet proposé de restituer à celui que l'on considère comme ayant été le premier Réunionnais de l'Histoire, le dénommé Louis Payen, qui n'est hélas, pour la plupart des Réunionnais d'aujourd'hui, qu'un nom, trois petites syllabes n'évoquant en fait pas grand-chose de précis, un peu – et même beaucoup ! – de la chair vivante qui jusqu'ici lui faisait défaut.
Comment notre auteur s'y est-il donc pris pour mener à bien cette pieuse entreprise ? S'appuyant sur les informations bien trop limitées et parcellaires que nous fournit l'Histoire, Yvan Lacanal s'est ingénié à insérer, dans le tissu lacunaire de la documentation disponible, ce que sont venues lui suggérer sa rêverie et son imagination personnelles. Est-ce à dire, alors, que l'écrivain se serait autorisé à traiter avec désinvolture les données authentiques qu'ont pu réunir les historiens savants sur les débuts de la colonisation à Bourbon ? Pas du tout, bien au contraire ! Tout cela, il l'a scrupuleusement respecté, mais de tout cela il s'est fait un tremplin pour nous proposer la propre vision qu'il s'est faite de Louis Payen, une vision qui n'a bien sûr rien de catégorique et d'absolument certain mais qu'Yvan Lacanal s'efforce avec talent de nous rendre plausible, sinon probable. De vulgaires hypothèses, de simples conjectures ? Peut-être mais hypothèses et conjectures qui sonnent vraies et qui nous permettent de mieux appréhender l'extraordinaire trajectoire qui fut celle de ce jeune aventurier intrépide.
D'où sort-il, ce jeune Louis Payen ? Qu'est-ce qui le pousse à quitter la France, pour d'abord rejoindre la petite colonie de Fort-Dauphin, au sud-est de Madagascar, puis, ultérieurement, à décider de s'installer, avec un autre Français et 10 Malgaches, sur l'île alors déserte qu'était La Réunion ? Alors Lacanal l'imagine, sans famille, rendu orphelin par la peste qui a fauché ses parents et l'a amené, très jeune, 15 ans, à s'engager dans les troupes du roi Louis XIV. En 1656 en tout cas (ça c'est historique !), le voilà débarquant à Fort-Dauphin. Là, Lacanal, nous le montre confronté aux réalités, géographiques, climatiques, sanitaires, humaines très difficiles de la Grande-Ile, guerroyant pendant 7 ans, souvent au péril de sa vie, avec les tribus hostiles qui entourent le petit établissement français.
Puis, il essaie de comprendre comment a pu naître dans l'esprit du jeune aventurier l'envie de fonder un établissement durable sur le sol de Bourbon. Bourbon, une terre jusque-là, si l'on excepte les deux poignées de « mutins » de Fort-Dauphin qui furent successivement condamnés à y être relégués contre leur gré (une « équipe » de 14 hommes, de 1646 à 1649, puis celle des 13 compagnons d'Antoine Couillard, 8 blancs et 6 noirs, de 1654 à 1658), uniquement fréquentée par des navires de passage, ceux qui, épisodiquement, venaient y faire brièvement relâche afin de s'approvisionner en eau et en viande fraîches : tortues, bœufs, cabris, etc.
En tout cas, le 10 novembre 1663 (ça aussi, c'est historique), Louis Payen, accompagné d'un autre Français dont le nom n'est pas certain (Lacanal opte pour Paul Cazan, mais ce point-là n'est pas établi et les historiens en disputent entre eux) et de 10 Malgaches (dont 3 femmes) se fait volontairement déposer en baie de Saint-Paul avec tout ce qu'il faut comme matériel agricole pour jeter les bases d'une colonisation féconde. Plutôt qu'à la Grotte dite « des Premiers Français », tout le monde s'accorde aujourd'hui à penser que c'est probablement sur la rive de l'Etang Saint-Paul (notre auteur, choisit pour sa part une localisation au lieu-dit Savanna) qu'ils vont construire leurs cabanes et aménager leurs jardins.
Les débuts (du moins tels que les voit Lacanal) sont idylliques et sans nuages : un climat sain et agréable, une nature généreuse, le poisson et le gibier en abondance, des cultures prometteuses. Mais on sait qu'ensuite, entre les blancs et les noirs, vont malheureusement surgir de graves dissensions. Il est facile d'imaginer que la possibilité de disposer des femmes en ait été, pour une grande part, la cause, puisque quand les Malgaches décident de partir dans la montagne, en marronnage (les tout premiers marrons !), ils emmènent avec eux, forcées ou de leur plein gré, on ne le sait, les trois femmes. Lacanal, imagine et nous fait vivre, comme il les devine, les divers épisodes de cette dramatique sécession, laquelle vient compromettre l'avenir de sa prometteuse entreprise.
Puis, en février 1665, débarque Etienne Régnaut, premier « gouverneur » de Bourbon. Avec lui – on a des listes – René Hoarau, Pierre Colin, Hervé Dennemont, Gilles Launay, Jacques Fontaine, François Vallée. Les suivront bientôt, François Ricquebourg, Pierre Hibon, Athanase Touchard, Pierre Nativel, Antoine Cadet, Julien Robert, et bien d'autres, les ancêtres de la plupart des Réunionnais d'aujourd'hui. Si l'on estime que le premier compagnon de Payen, quel que fût son nom, Cauzan ou un autre, va demeurer dans l'île, Louis Payen lui-même décide de la quitter et de regagner la métropole. Pourquoi un tel choix ? Lacanal tente de reconstituer ce qui a pu alors se passer dans la tête de notre aventurier pour l'amener à renoncer à ce qui avait été son rêve le plus cher, ce rêve dans lequel il avait investi tant d'énergie...
Dans tout cela, cette histoire mouvementée et pleine de rebondissements, il y a certes du sordide, de la violence, de la haine : la guerre, la mort, mais il y a aussi du courage, de l'amitié, de la générosité et même de l'amour. Certes tous les personnages que Lacanal nous fait rencontrer ne sont pas sympathiques ; certains sont même franchement antipathiques. Pourtant rien de systématique ou de manichéen dans sa façon de nous les présenter. On ne trouvera pas non plus d'anachroniques prêchi-prêchas anticolonialistes, antiracistes ou féministes qui, sous prétexte de flatter nos idées d'aujourd'hui (justifiées, je n'en disconviens pas !), se fussent cependant trouvés en totale contradiction avec les mentalités d'alors.
Le récit de Lacanal s'adosse à une recherche documentaire très approfondie. Il a visiblement pris la peine de se renseigner dans toute une série de domaines (militaires, nautiques, ethnologiques, etc.) afin de nous restituer de façon extrêmement précise comment l'on se battait, sur terre et sur mer, comment l'on naviguait sur les vaisseaux d'alors, comment on se nourrissait et s'habillait, comment l'on se soignait, quelles étaient les croyances et les coutumes des populations du sud de Madagascar à cette époque. Cela est pour nous très instructif, même si, pour ma part, je fais quelques réserves, notamment (je l'ai d'ailleurs dit à l'auteur quand j'ai eu le plaisir de le rencontrer à l'occasion d'une séance de signature à La Nouvelle Colombe, l'excellente librairie du Tampon) sur l'itinéraire à travers l'Atlantique qu'il attribue au vaisseau qui a transporté Louis Payen de La Rochelle à Fort-Dauphin.
Ajoutons, que chaque chapitre du livre s'ouvre sur un dessin réalisé par l'auteur lui-même. Ces belles vignettes, bien que reproduites de façon trop petite, sont très joliment dessinées et contribuent à l'agrément que procure cet ouvrage très soigneusement édité (cela doit être souligné car ce n'est malheureusement pas toujours le cas de tout ce que produit cette néanmoins très utile maison d'édition).
Est-ce qu'un tel ouvrage, lequel n'est pourtant pas réservé aux seuls enfants, ne mériterait pas de se voir distinguer, par exemple par un prix du roman pour la jeunesse, afin de pouvoir atteindre plus facilement et plus largement de jeunes lecteurs chez qui, à mon avis, il est susceptible de faire naître un enthousiasme quasiment aussi grand que celui qu'obtiennent traditionnellement chez eux « L'île au trésor » de Stevenson ou le « Tom Sawyer » de Mark Twain ? En tout cas, je m'en suis procuré tout un stock afin de pouvoir enchanter mes petits-enfants et les enfants de mes amis !
De quoi s'agit-il ? Eh bien, pour définir d'un mot la nature de ce livre, lequel a pour titre « Savanna » et pour sous-titre « Les aventures de Louis Payen » (Editions Orphie, 15€), je dirai que c'est là, tout bonnement, ce que l'on nomme un « roman historique ». Son auteur, Yvan Lacanal, un professeur d'Arts Appliqués de Saint-Pierre, s'est en effet proposé de restituer à celui que l'on considère comme ayant été le premier Réunionnais de l'Histoire, le dénommé Louis Payen, qui n'est hélas, pour la plupart des Réunionnais d'aujourd'hui, qu'un nom, trois petites syllabes n'évoquant en fait pas grand-chose de précis, un peu – et même beaucoup ! – de la chair vivante qui jusqu'ici lui faisait défaut.
Comment notre auteur s'y est-il donc pris pour mener à bien cette pieuse entreprise ? S'appuyant sur les informations bien trop limitées et parcellaires que nous fournit l'Histoire, Yvan Lacanal s'est ingénié à insérer, dans le tissu lacunaire de la documentation disponible, ce que sont venues lui suggérer sa rêverie et son imagination personnelles. Est-ce à dire, alors, que l'écrivain se serait autorisé à traiter avec désinvolture les données authentiques qu'ont pu réunir les historiens savants sur les débuts de la colonisation à Bourbon ? Pas du tout, bien au contraire ! Tout cela, il l'a scrupuleusement respecté, mais de tout cela il s'est fait un tremplin pour nous proposer la propre vision qu'il s'est faite de Louis Payen, une vision qui n'a bien sûr rien de catégorique et d'absolument certain mais qu'Yvan Lacanal s'efforce avec talent de nous rendre plausible, sinon probable. De vulgaires hypothèses, de simples conjectures ? Peut-être mais hypothèses et conjectures qui sonnent vraies et qui nous permettent de mieux appréhender l'extraordinaire trajectoire qui fut celle de ce jeune aventurier intrépide.
D'où sort-il, ce jeune Louis Payen ? Qu'est-ce qui le pousse à quitter la France, pour d'abord rejoindre la petite colonie de Fort-Dauphin, au sud-est de Madagascar, puis, ultérieurement, à décider de s'installer, avec un autre Français et 10 Malgaches, sur l'île alors déserte qu'était La Réunion ? Alors Lacanal l'imagine, sans famille, rendu orphelin par la peste qui a fauché ses parents et l'a amené, très jeune, 15 ans, à s'engager dans les troupes du roi Louis XIV. En 1656 en tout cas (ça c'est historique !), le voilà débarquant à Fort-Dauphin. Là, Lacanal, nous le montre confronté aux réalités, géographiques, climatiques, sanitaires, humaines très difficiles de la Grande-Ile, guerroyant pendant 7 ans, souvent au péril de sa vie, avec les tribus hostiles qui entourent le petit établissement français.
Puis, il essaie de comprendre comment a pu naître dans l'esprit du jeune aventurier l'envie de fonder un établissement durable sur le sol de Bourbon. Bourbon, une terre jusque-là, si l'on excepte les deux poignées de « mutins » de Fort-Dauphin qui furent successivement condamnés à y être relégués contre leur gré (une « équipe » de 14 hommes, de 1646 à 1649, puis celle des 13 compagnons d'Antoine Couillard, 8 blancs et 6 noirs, de 1654 à 1658), uniquement fréquentée par des navires de passage, ceux qui, épisodiquement, venaient y faire brièvement relâche afin de s'approvisionner en eau et en viande fraîches : tortues, bœufs, cabris, etc.
En tout cas, le 10 novembre 1663 (ça aussi, c'est historique), Louis Payen, accompagné d'un autre Français dont le nom n'est pas certain (Lacanal opte pour Paul Cazan, mais ce point-là n'est pas établi et les historiens en disputent entre eux) et de 10 Malgaches (dont 3 femmes) se fait volontairement déposer en baie de Saint-Paul avec tout ce qu'il faut comme matériel agricole pour jeter les bases d'une colonisation féconde. Plutôt qu'à la Grotte dite « des Premiers Français », tout le monde s'accorde aujourd'hui à penser que c'est probablement sur la rive de l'Etang Saint-Paul (notre auteur, choisit pour sa part une localisation au lieu-dit Savanna) qu'ils vont construire leurs cabanes et aménager leurs jardins.
Les débuts (du moins tels que les voit Lacanal) sont idylliques et sans nuages : un climat sain et agréable, une nature généreuse, le poisson et le gibier en abondance, des cultures prometteuses. Mais on sait qu'ensuite, entre les blancs et les noirs, vont malheureusement surgir de graves dissensions. Il est facile d'imaginer que la possibilité de disposer des femmes en ait été, pour une grande part, la cause, puisque quand les Malgaches décident de partir dans la montagne, en marronnage (les tout premiers marrons !), ils emmènent avec eux, forcées ou de leur plein gré, on ne le sait, les trois femmes. Lacanal, imagine et nous fait vivre, comme il les devine, les divers épisodes de cette dramatique sécession, laquelle vient compromettre l'avenir de sa prometteuse entreprise.
Puis, en février 1665, débarque Etienne Régnaut, premier « gouverneur » de Bourbon. Avec lui – on a des listes – René Hoarau, Pierre Colin, Hervé Dennemont, Gilles Launay, Jacques Fontaine, François Vallée. Les suivront bientôt, François Ricquebourg, Pierre Hibon, Athanase Touchard, Pierre Nativel, Antoine Cadet, Julien Robert, et bien d'autres, les ancêtres de la plupart des Réunionnais d'aujourd'hui. Si l'on estime que le premier compagnon de Payen, quel que fût son nom, Cauzan ou un autre, va demeurer dans l'île, Louis Payen lui-même décide de la quitter et de regagner la métropole. Pourquoi un tel choix ? Lacanal tente de reconstituer ce qui a pu alors se passer dans la tête de notre aventurier pour l'amener à renoncer à ce qui avait été son rêve le plus cher, ce rêve dans lequel il avait investi tant d'énergie...
Dans tout cela, cette histoire mouvementée et pleine de rebondissements, il y a certes du sordide, de la violence, de la haine : la guerre, la mort, mais il y a aussi du courage, de l'amitié, de la générosité et même de l'amour. Certes tous les personnages que Lacanal nous fait rencontrer ne sont pas sympathiques ; certains sont même franchement antipathiques. Pourtant rien de systématique ou de manichéen dans sa façon de nous les présenter. On ne trouvera pas non plus d'anachroniques prêchi-prêchas anticolonialistes, antiracistes ou féministes qui, sous prétexte de flatter nos idées d'aujourd'hui (justifiées, je n'en disconviens pas !), se fussent cependant trouvés en totale contradiction avec les mentalités d'alors.
Le récit de Lacanal s'adosse à une recherche documentaire très approfondie. Il a visiblement pris la peine de se renseigner dans toute une série de domaines (militaires, nautiques, ethnologiques, etc.) afin de nous restituer de façon extrêmement précise comment l'on se battait, sur terre et sur mer, comment l'on naviguait sur les vaisseaux d'alors, comment on se nourrissait et s'habillait, comment l'on se soignait, quelles étaient les croyances et les coutumes des populations du sud de Madagascar à cette époque. Cela est pour nous très instructif, même si, pour ma part, je fais quelques réserves, notamment (je l'ai d'ailleurs dit à l'auteur quand j'ai eu le plaisir de le rencontrer à l'occasion d'une séance de signature à La Nouvelle Colombe, l'excellente librairie du Tampon) sur l'itinéraire à travers l'Atlantique qu'il attribue au vaisseau qui a transporté Louis Payen de La Rochelle à Fort-Dauphin.
Ajoutons, que chaque chapitre du livre s'ouvre sur un dessin réalisé par l'auteur lui-même. Ces belles vignettes, bien que reproduites de façon trop petite, sont très joliment dessinées et contribuent à l'agrément que procure cet ouvrage très soigneusement édité (cela doit être souligné car ce n'est malheureusement pas toujours le cas de tout ce que produit cette néanmoins très utile maison d'édition).
Est-ce qu'un tel ouvrage, lequel n'est pourtant pas réservé aux seuls enfants, ne mériterait pas de se voir distinguer, par exemple par un prix du roman pour la jeunesse, afin de pouvoir atteindre plus facilement et plus largement de jeunes lecteurs chez qui, à mon avis, il est susceptible de faire naître un enthousiasme quasiment aussi grand que celui qu'obtiennent traditionnellement chez eux « L'île au trésor » de Stevenson ou le « Tom Sawyer » de Mark Twain ? En tout cas, je m'en suis procuré tout un stock afin de pouvoir enchanter mes petits-enfants et les enfants de mes amis !