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Une joie, une fête, une cérémonie : « Allons tuer cochon! »

Aujourd’hui, période du « tout réglementation », on n’a pratiquement plus le droit de bouffer une bestiole que l’on aura exécutée chez soi. On n’a déjà plus le droit de tuer un bœuf, un cochon, un cabri. Bientôt, on nous empêchera d’égorger une volaille ou un lapin, vous verrez. Comme si qui que ce fût, était jamais […]

Ecrit par Jules Bénard – le lundi 27 février 2017 à 12H09

Aujourd’hui, période du « tout réglementation », on n’a pratiquement plus le droit de bouffer une bestiole que l’on aura exécutée chez soi. On n’a déjà plus le droit de tuer un bœuf, un cochon, un cabri. Bientôt, on nous empêchera d’égorger une volaille ou un lapin, vous verrez.

Comme si qui que ce fût, était jamais tombé malade à boulotter le cadine patiemment élevé des mois durant à coups de manger cochon et d’l’eau sale !

L’eau sale et manger-cochon

Les jeunes et un tout petit peu moins jeunes ne savent plus à quoi rime la cérémonie du tuer cochon. Maintenant, on va au supermarché, on achète une barquette bien propre, bien rose, bien dégoûtante aussi car la vraie viande cochon n’a jamais été rose pâle. Un cochon soigneusement grossi dans les règles de l’art, a une viande rouge et une graisse jaune peu abondante. Lorsqu’on met les morceaux en marmite, i roussit… i cume pas comme la bave z’escargot.

Cela vient, comme les cuisses de ces poulets gonflés à la pompe vélo, de ce qu’on lui donne à tortorer. Le ti cochon noir s’élevait à « l’eau sale », à savoir les restes des repas et toutes les épluchures de légumes. Ou alors, dans un grand fer-blanc sur feu de bois, on préparait le « manger cochon »: morceaux de baba figue, pommes-de-terre trop dures, restants divers, patates douces, cambares (ignames), fruit-à-pain entiers, songes grises, patates-cochon déterrées dans les fonds de ravines, chouchous entiers, plus quelques tourteaux achetés chez le Chinois Ah-Ton à La Rivière par exemple.

Enfin… ce qu’il en restait car les tourteaux, faits d’arachides pilées et de mélasse, étaient délicieux en friandises telles quelles. Nous prélevions plus que notre dîme sur les tourteaux achetés par les parents!

« Assez mange ravages, marmailles ! »

Cette bouillie cuisait des heures durant sur feu de bois et nous ajoutions sur le dessus quelques petites patates douces tendres, quelque papaye verte, quelques gousses jacques volées dans le champ de cannes du voisin. Cela nous faisait de délicieux « ravages », parfaits pour le goûter au retour de l’école.

« Arrête mange trop d’ravages, marmailles. Zot i dînera pu à soir ! » était notre angélus des fins d’après-midi.

Vaille que vaille, le cochon engraissait benoîtement de longs mois durant, s’empiffrant sans savoir ce qui l’attendait.

Et puis arrivait le jour fatidique. Quand on estimait la bête suffisamment grosse, son compte était bon. Là, il y avait plusieurs façons de procéder selon les milieux familiaux ou sociaux.

« Madame Tapounangue, monsieur Lève-Tête… »

Par exemple, dans les milieux pauvres, comme le Tanambo de Saint-Pierre que j’ai bien connu, véritable coupe-gorge avant qu’il ne se transformât en coin vivable par les soins d’Elie Hoareau…

Les habitants avaient alors tout loisir de « songne cochon » dans la cour sans soulever de remous désagréables chez les voisins et des plaintes à n’en plus finir. Cela sentait un peu quand le vent tournait? Et alors ? Et après ?

Bonhomme avait décidé de zigouiller la pauvre bête le samedi mais le remue-ménage débutait le vendredi lorsque les filles de la famille allaient « place la viande cochon chez bande voisins ».

Elles passaient de baro en baro pour prendre les commandes et les notaient sur de petites feuilles de papier.

« Madame Tapounangue : dix côtelettes »… « Monsieur Lève-Tête : in’ cuisse »… « Mamzelle La Touffe : in’ patte devant…

Tête en bas sur la roche-à-laver…

Le samedi matin, toute la famille était sur pied de guerre dès potron-minet, enfants compris. Untel faisait bouillir une grande bassine d’eau. Tel autre aidait le papa à tirer du parc la pauvre bestiole qui hurlait tant et plus, sentant que quelque chose de pas catholique se préparait ; une telle hachait oignons verts et persil, pilait le poivre en grains, écrabouillait le gros sel, toutes choses indispensables aux futures cochonnailles.

Le plus dur était de maintenir monsieur le futur sacrifié pendant qu’on lui liait les pattes en vue du sacrifice. Il fallait s’y mettre à plusieurs. Quelques vaillants petits coups d’sec étaient parfois nécessaires pour se donner du moral.

Monsieur Cochon était alors posé à plat sur la roche à laver, tête vers le bas, pendant que le papa aiguisait une dernière fois le couteau à lame longue et fine, déjà plus acérée qu’un coupe-chou. Si le cochon était bien ficelé, il était quand même indispensable de le maintenir solidement pendant que l’officiant approchait.

Une exécution de spécialiste !

Guidé par une longue expérience, le papa palpait soigneusement le cou du cochon, trouvait le meilleur endroit en, d’un coup sans mollesse, enfonçait l’arme dans la jugulaire.

Le sang giclait, vite recueilli en-dessous dans une grande bassine prévue à cet effet : pas une goutte de raisiné ne se perdait. De temps à autre, le couteau était remué dans la plaie pour relancer l’hémorragie…

Une fois que plus un tressautement n’animait la bête, l’eau bouillante était vite apportée. On emmaillotait le défunt dans un goni qui était soigneusement aspergé d’eau bouillante et astiqué en conséquence. À la suite de quoi les larges couteaux entraient en scène pour gratter la couenne brûlante qui, ainsi, se débarrassait mieux de ses poils.

Quelques minutes plus tard, un grand couteau et son pote, le couperet, entraient à leur tour en service et entre les mains de ces connaisseurs, le cochon était vite débité. Jarrets, cuisses, côtes, côtelettes, tête et boyaux étaient vite différenciés sur la roche-à-laver.

S’approchaient alors les filles qui enveloppaient les commandes dans de vieux journaux pour aller chez la clientèle distribuer de la viande encore fumante.

« La dit à vous saucisses i arrivent talèr ! »

Boucané, saucisses, boudin…

Les différents membres de la famille jouaient ainsi au facteur, sachant que la famille avait mis de côté sa propre part : le boucané ne manquerait pas durant les semaines à venir.

Parce que le travail ne finissait pas avec la mort du condamné, loin de là.

Une partie de la viande était préparée pour la confection des saucisses : elle était hachée au couperet, voire au sabre à canne car les saucisses créoles traditionnelles étaient hachées en morceaux, et non moulues. Peu de gras car le ti cochon noir traditionnel n’était pas très adipeux. Assaisonnée de thym, sel, poivre, soigneusement mélangée, elle était enfournée dans la tripe.

Pour le boudin, c’était simple. Le sang était agrémenté d’une grande quantité de persil, oignons verts, sel, piment, le tout largement brassé puis enfoncé, par le moyen d’un entonnoir, dans la « petite » tripe (l’intestin grêle) préalablement lavée avec soin. Ce boudin était alors mis à l’eau bouillante au moins une heure et était alors prêt à être consommé. Généralement, il ne passait pas la journée.

Les grosses gobes de couenne, depuis longtemps, s’étaient transformées en bon graton croustillant.

Le papa découpait les longues lanières, mi-viande mi-graisse, qu’il astiquait généreusement de sel et poivre et installait illico au-dessus de la cuisine au bois. Il y pendillait aussi les lanières de saucisses soigneusement préparées par son épouse et ses filles. Dans l’après-midi, ces charcuteries succulentes iraient chez les voisins ayant passé commande…

Aucune industrie là-dedans !

Bien des morceaux, petitement débités, allaient immédiatement à la friture puis finissaient, en prévision des jours maigres, dans la graisse fondue qu’on avait mise sur petit feu dans le même chaudron, préalablement récuré. Dans lequel se préparaient aussi les lourdes gobes de graton qui deviendraient quelque succulent rougail un de ces quatre… ou finiraient dans un plat de gros pois.

Mais le plus dur restait à venir… Enfin, quand je dis « le plus dur »… Je veux parler de l’élaboration du fromage cochon.

Oubliez vite le soi-disant fromage cochon de chez le supermarché, qui n’en a que le nom, qui est rose et cylindrique car élaboré dans des presses industrielles. Beurk!!!!!

Le vrai-de-vrai est gris, pas rose ! Et il est informe. Je le sais car je sais en préparer un, recette de Mamie Francia de Cilaos, qui tient sacrément la distance. Parce que c’est vous, comme dirait Liette (inside joke), mais vraiment parce que c’est vous, je vous donne la façon de faire sans vous louper comme un lamentable.

Le cochon noir de Marla !

Avant de virer au journalisme, j’étais instituteur à Marla, Mafate. Quand un des braves paysans du coin, (E) Stéphane, Expédit ou Giroday, prévenait qu’il tuait son cochon, je réservais la tête, une patte de devant, la panse plus quelques mignardises réclamées par mes papilles exigeantes.

Dans la cahutte me servant de logement de fonction, je lavais soigneusement la panse à l’eau vinaigrée jusqu’à la débarrasser de toute sa glu. Puis, avec gros fil gros l’aiguille, je cousais une des deux extrémités de cette panse.

Au couteau, voire au rasoir, je débitais la tête lentement, et taillais les oreilles en pointe selon une recette qui n’aurait pas déplu au pirate de Oum-Pa-Pa le Peau-Rouge, comprenne qui pourra. Je maniais le hachoir pour désosser et hacher la patte commandée.

Je pilais du poivre en grains et cassais grossièrement deux noix de muscade, pilais le gros sel et hachais finement de grosses bottes de thym. Puis j’assaisonnais toute cette belle viande avec ces produits sans lésiner sur l’huile de coude non plus.

Pour me donner du cœur au ventre, je vidais quelques-unes des canettes de Dodo mises à rafraîchir dans le torrent sourçant direct du Gros-Morne. Plus frais tu clamse !

Un boulot pour grands gosiers exclusivement !

Car c’est ça le drame avec la préparation du fromage de tête : il faut tout un tas de choses qui n’entrent absolument pas dans la recette. Ainsi un gros chaudron supportant le feu de bois sept à huit heures d’affilée. Plus un tabouret confortable. Plus une bonne provision d’histoires salées. Plus quelques dizaines de bières bien fraîches destinées à combattre de feu d’enfer qui allait régner en maître toute la nuit.

Dans le chaudron, de l’eau propre largement additionnée de gros sel, pour éviter l’osmose : si on oublie de saler l’eau, le sel du fromage se barre et vous vous retrouvez avec un fromage plat !

On remplit la panse du mélange épicé puis on coud la deuxième extrémité. Enfin, on enroule le fromage dans un gros chiffon que l’on coud autour du fromage que l’on va plonger dans le chaudron lorsque ça commencera à bouillir.

Ensuite, on s’installe sur le tabouret où on sera d’attaque pour renouveler l’eau et le sel, soit plusieurs fois la nuit. Pour rajouter du bois aussi. D’autant plus d’attaque que le niveau des bières diminuera dans le petit torrent juste à côté.

La « planchette », pas la « plancha », oté !

Au petit jour, deux choses… Le fromage est cuit et les bières ont disparu. Là, on prend le fromage cochon, toujours enveloppé dans son chiffon et on place une planchette sur un petit tabouret. On met le fromage dessus, on place une seconde planchette sur le tout, avec une grosse pierre sur le haut, et l’on s’en va dormir si l’on en a le courage.

Toute la journée, la pierre faisant son boulot, le fromage va s’aplatir, la graisse va s’en aller. Du début de la cuisson au dégraissage terminé, compter entre 7 et 10 bonnes heures.

Quand (au pif) on estime l’opération terminée, on enlève le chiffon et l’on admire son boulot, un fromage cochon assez plat de forme, grisâtre, gourmand en diable.

Là, on se noue une grande serviette, pas autour du fromage, autour du cou et on appelle les copains.

Ainsi donc, dans les familles nécessiteuses comme à Tanambo dont j’ai parlé plus haut, le cochon servait à nourrir la famille mais surtout à apporter un petit revenu à des familles démunies. Ailleurs, tout le cochon était gardé pour les familles tueuses, quelques bons morceaux mis de côté pour la famille exclusivement.

« Oté compère Chinois rouve la boutique !… »

Les mêmes cérémonies se déroulaient quand une famille tuait quelque beau cabri bien portant.

N’oublions pas nos amis les Chinois commerçants. Je me souviens que madame Ah-Tioune de Saint-Joseph, dans les bas de Jean-Petit, comme des Ah-Ton à La Rivière, qui se levaient à deux heures du matin chaque vendredi : lorsque la boutique ouvrait ses portes à six heures, les clients attendaient leur morceau de cochon, le boudin pimenté et le ti coup d’sec qui va avec !

Je ne peux m’empêcher, aujourd’hui encore, d’avoir une pensée émue pour ce brave gars de Tanambo, un type pauvre comme c’est pas permis, vivant seul dans une case de trois mètres sur trois en tôle sous tôle.

Il aidait les autres à tuer et préparer le cochon et, pour toute rémunération, se faisait remettre des bardes de peau de cochon avec juste un peu de gras et pas de viande ! Il les mettait à boucaner sur un feu de planchettes récupérées ici et là ; cela lui faisait une ration de protéines pour un certain temps, un rougail qu’il arrivait à rendre bon avec une tomate et quelques piments subtilisés dans les champs voisins.

 

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