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St-Denis: Les arrangements de deux sociétés pour rafler le marché public du funéraire

Le marché de la mort n’échappe pas aux combines. Surtout lorsque l'argent public est servi par un service municipal peu regardant. C'est en tout cas la version soutenue par l'accusation qui se fait à son tour accuser de travail au noir...

Ecrit par zinfos974 – le lundi 13 novembre 2017 à 18H01

Qu’est-il arrivé au CCAS de Saint-Denis pour, coup sur coup, appel d’offres après appel d’offres, fermer les yeux sur les documents fournis par deux sociétés travaillant dans le funéraire ?

En 2015, le CCAS de Saint-Denis lance un appel d’offres pour la fourniture d’articles et de prestations funéraires. Répondant à ses missions de service social, le CCAS vient ainsi en aide aux familles sans trop de ressources, confrontées à la mort d’un proche. Objectif du CCAS : proposer un service minimum par l’intermédiaire d’un prestataire de service.

Des sociétés de la place candidatent naturellement à cet appel d’offres. La décision du CCAS tombe en mars 2016. Le marché est remporté par une entreprise que nous appellerons « entreprise N°1 ». Une société inconnue au bataillon. Normal, elle vient d’être créée. D’ailleurs sa création – c’est écrit dans ses statuts – l’a été uniquement pour répondre à ce marché de prestation funéraire pour le CCAS de la ville de Saint-Denis.

 

Des véhicules fantômes

Selon le marché, la recevabilité des candidatures était suspendue à la présentation d’une habilitation préfectorale, un certificat de conformité des véhicules, la déclaration indiquant les effectifs moyens du candidat et l’importance du personnel d’encadrement pour chacune des trois dernières années d’activité. Le Cahier des Clauses Particulières exigeait également que l’entreprise dispose de 4 porteurs au minimum. Des détails qui, nous le verrons plus loin, ont une importance capitale puisqu’à aucun moment le CCAS n’a relevé les incohérences présentées par la société candidate. 

De quoi a besoin une société de pompes funèbres pour travailler ? De main d’oeuvre et de véhicules. Dans les deux cas, la société N°1 est mise en défaut. Elle ne répond pas aux obligations du marché. Pour masquer ses lacunes et soumettre quand même son offre au CCAS, la société s’invente alors une flotte automobile. 

Les immatriculations de cinq véhicules sont ainsi fournies lors de son dépôt de candidature. Quatre des cinq véhicules mentionnés n’existent pas mais le CCAS de Saint-Denis n’y verra que du feu. La société attributaire du marché possède tout de même un véhicule. Pour de vrai ou presque. Selon le certificat d’immatriculation fourni au CCAS, le Ford Transit aurait été immatriculé le 28 avril 2014 avec comme propriétaire …l’entreprise N°1, alors que la société soumissionnaire a été créée en… septembre 2015. Le doute n’est pas permis puisque le contrôle technique du véhicule est annoncé comme établi au 2 mai 2014 à la même Société N°1. Une preuve également produite en justice devant le tribunal administratif…

Une rapide recherche permet finalement d’identifier le véritable propriétaire du véhicule Ford Transit : une société funéraire installée dans le sud de l’île, véritable titulaire de la carte grise…

 

De son côté, le gérant de l’entreprise N°2 nous répond sans problème et tente même d’inverser l’accusation. Pour lui, le jeune âge auquel sa compagne et gérante de la société N°1 a obtenu son certificat (16 ans pour rappel) n’a rien de farfelu, ce que confirme le responsable désormais à la retraite de ce centre de formation à Marseille, sans que ce dernier ne se souvienne toutefois de cette élève originaire de La Réunion. Toujours est-il que cette dernière annonce avoir effectué un stage dans le funéraire dès ses 13 ans, ce que nous confirme son compagnon. Une vocation décidément précoce.

Le gérant de la société N°2 réplique aussi sur le passé supposé de la gérante qui accuse sa société et celle de sa compagne, toutes deux attributaires du marché du CCAS respectivement en 2015 puis 2016. « Elle faisait travailler 8 personnes sans qu’elles soient déclarées », nous signale le gérant incriminé, en même temps qu’il nous expose que l’ancien président d’une société funéraire avait également porté plainte contre l’accusatrice. 

Du travail au noir que nous confirme un autre gérant de société funéraire que nous avons interrogé. Il a eu le malheur, dit-il encore secoué, de croiser la route de l’entreprise accusatrice des combines du marché public du CCAS de Saint-Denis. 

« J’avais une entreprise de pompes funèbres mais je l’avais mise en stand by car j’avais des soucis. C’est là que Mme Payet (nom d’emprunt) et M. Hoarau (nom d’emprunt) ont voulu travailler avec moi. Mais ils ont abusé de moi et de ma gentillesse parce que mon entreprise était en stand by. J’ai commencé à travailler pour eux comme responsable d’agence à Saint-Pierre et ça a duré 3 à 4 mois. Ils m’ont tout donné : fourgon, véhicule de fonction, magasin mais je n’ai jamais été payé. Ils voulaient qu’on travaille en collaboration car j’étais bien connu dans le sud et ils ont voulu profiter de ma clientèle. Je suis en procès contre eux aux Prud’hommes mais les Prud’hommes attendent le résultat de la plainte au pénal. Je ne suis pas le seul, il y a au moins 3 ou 4 ex-employés au noir qui se sont retournés contre ces pratiques. J’ai été convoqué à Malartic comme témoin pour deux jeunes qui sont dans le même cas. Il y a eu aussi pour moi détournement de ligne professionnelle. Je ne vais pas laisser tomber. Ce sont des gens qui n’ont pas de coeur. Moi, cette gérante m’a foutu par terre. Je n’ai plus rien pour vivre », détaille ce professionnel du funéraire dans le sud qui se dit spolié.

 

Casting fantôme

Tromper un service administratif c’est tout un art. En si bon chemin, la société N°1 s’invente aussi une équipe dirigeante avec qualifications requises et des employés en nombre suffisant…

Là encore, des détails ne sautent pas aux yeux du CCAS. Prenons le cas de la dirigeante de la société N°1. La gérante fait valoir, dans son dossier de candidature au marché public, une formation niveau 6 (gestion d’une structure de pompes funèbres) délivrée en 2004 par un centre de formation se trouvant à Marseille. Petit souci : cette gérante est née en 1988 à Saint-Benoît. Elle devait donc avoir 16 ans lorsqu’elle prétend avoir décroché le fameux certificat lui permettant de gérer une structure funéraire. 

Mieux, concernant les moyens humains de la société cette fois, la société attributaire du marché n’a aucun employé. C’est ce qu’il ressort du répertoire SIREN au 21 mars 2016, période coïncidant à la date d’attribution du marché. Où sont ainsi les 4 porteurs exigés par le Cahier des Clauses Particulières attenant au marché ? Là encore un contrôle plus efficace des services du CCAS aurait pu permettre de démasquer la combine.

Une deuxième société dans le collimateur 

La société Pompes Funèbres N°1 n’a pas été la seule à profiter des largesses du CCAS de Saint-Denis. En matière de production de faux, la société Pompes Funèbres N°2 peut facilement rivaliser. Plutôt logique lorsque l’on apprend, grâce aux professionnels du milieu, que le gérant de l’entreprise N°2 se trouve être le conjoint de la gérante de l’entreprise N°1. Les mêmes ficelles ont ainsi servi pour le marché public du CCAS l’année d’avant.

Ainsi, l’entreprise N°2 était bénéficiaire du marché de prestations de services funéraires pour le compte du CCAS de Saint-Denis pour l’année 2015. Problème : la société n’a été habilitée que pour le transport de corps « après mise en bière » comme l’atteste l’agrément préfectoral délivré. Pourtant, à plusieurs reprises, et les concurrents dans le milieu en ont été témoins, la société N°2 a été réquisitionnée par les forces de police pour des levées de corps sur la voie publique. Le seul agrément préfectoral ne suffisait donc pas pour une telle activité. Ces réquisitions ont par ailleurs été effectuées avec le véhicule Ford Transit appartenant à la société complice N°1.

Un recours administratif intenté par une société concurrente pour « rupture d’égalité devant un marché public » n’a pas suffi à interrompre ce manège. Le CCAS a obtenu gain de cause devant le tribunal en 2016 mais il ne s’agissait que d’un référé qui n’examinait pas les pièces fournies par la société au CCAS.

 

La ville de Saint-Denis nous répond également, en nous transférant le jugement du tribunal administratif qui lui a donné raison. Sauf que cette victoire n’en est pas vraiment une puisque le tribunal administratif ne traitait qu’un recours en annulation du marché public et que la société requérante n’est arrivée que troisième de la mise en concurrence. Le juge administratif a donc considéré que l’intérêt à agir de la société accusatrice ne pouvait amener à l’annulation du marché public du CCAS. Le recours aurait dû être déposé par l’entreprise arrivée seconde. Ce qui induit donc que la question de fond n’a donc pas encore été examinée par un tribunal à ce jour : comment le CCAS n’a-t-il pas vu que la société attributaire lui avait présenté de faux documents ?

C’est pour faire la lumière sur le fond qu’une plainte a été déposée par l’entreprise déboutée devant le tribunal administratif, cette fois sur le bureau du procureur de la République, en même temps que des observations ont été envoyées aux services de la préfecture pour qu’elle soit elle aussi plus vigilante à l’avenir puisque c’est depuis quelques mois la sous-préfecture de Saint-Paul qui délivre les agréments des sociétés funéraires. Ça tombe bien, l’agrément de la société N°1 arrive à son terme à la mi-novembre. Affaire à suivre.

 

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