Les abords du Piton des Neiges sont devenus un boulevard pour excursionnistes. Quant aux parages du gîte et du sommet lui-même, ce sont des héliports. La renommée du Piton le veut ainsi et c’est normal. On y dit même des grands-messes : « Plus près de toi, mon Dieu… » On oublie qu’il n’en a pas toujours été ainsi.
Notre vénérable Piton, dans les années soixante, lorsque nous avons osé y mettre les pieds, cela fut l’occasion de trucs cocasses… comme d’extraordinaires beuveries au Petit-Matarum. Que les esprits chastes s’abstiennent. Mais qu’allais-je faire dans cette galère ?
« Plus près de toi, mon Dieu », marmonnais-je ci-dessus. C’est on-ne-peut-plus vrai : les voies du Seigneur sont réellement impénétrables. C’est parce que je m’étais engagé dans la JEC (Jeunesse étudiante chrétienne) avec Michel, complice de toutes mes turpitudes, que j’y ai grimpé pour la 1ère fois. A noter que les fois suivantes n’auront rien à voir avec les arcanes bibliques mais plutôt avec des contours vaporeux que l’on dit éthyliques. Que l’on dit… Mi di à ou, ti marmay là lé vicieux, le quitte sa mère !
Mais qu’allait-il faire dans cette galère ? Je rectifie : qu’allais-je foutre, moi le sceptique, le frondeur, l’enquiquineur de curés, dans cette fratrie (bien sympathique au demeurant) ? Je crois me souvenir que c’est le père Woilez qui m’y avait incité. Ou le père Lebrun ? A moins que le père Rochefeuille… ? Peu importe, je me laissais embrigader et il s’en trouva deux, dans l’tas, pour se laisser tenter par la prêtrise : Philippe Lauret et Sautron-Latour. Ce dernier a changé d’orientation par la suite, je suppose au détour d’un chemin, à cause de la sulfureuse vision d’une chute de reins trop cambrée ?
Covino, Saint-Amour ou Saint-Estèphe ?
Le plus clair était qu’avec la JEC, outre les cours d’instruction religieuse, au programme officiel du lycée alors (les laïcs vont rugir), nous devions nous farcir des cours particuliers de Nouveau et Ancien Testaments (j’ai toujours préféré l’Evangile), la Vie édifiante des saints, DEUX messes le dimanche, mais étions en contrepartie invités à déjeuner chez les curés ce même jour : qu’est-ce qu’ils bouffaient bien, ces cons ! Charité bien ordonnée, ils se réservaient le vin pour eux tous seuls, personnellement, en Suisses. Et pas Covino-le-vin-qu’il-vous-faut ou Kiravi-votre-vin-favori, s’il vous plaît. Ils se faisaient offrir, pour le salut de leur âme, de bonnes bouteilles par les représentants de chez Effira-et-Commins, importateurs : Saint-Amour, tu penses bien, Saint-Estèphe, Clos-des-Moines, etc., on n’est jamais si bien servi, n’est-ce pas…
Il nous fallait donc en voler, comme du temps où j’étais enfant de chœur, si nous voulions avoir notre quote-part. Vous vous rendez compte ? Vole le prêt’ ! De quoi se farcir 20 piges de purgatoire de rab.
Un jour, pour nous récompenser de notre fervente assiduité, ces chers curetons nous proposèrent de grimper au Piton. Wex ! Le Piton, rien que ça. Le nom déjà faisait rêver car seuls de rares privilégiés avaient eu la chance d’y aller et voici que nous allions pénétrer au sein de l’élite. Nous aurions dû nous méfier lorsque ces chers pères nous apprirent qu’ils ne feraient pas partie de l’expédition, trop pris par leurs vêpres, processions, messes et autres prétextes aussi faux que des ânes qui reculent. Pas folles, les soutanes.
Saucisson, gourde et baskets
Le premier week end des vacances suivantes, en 1963 donc, nous nous retrouvâmes à Cilaos, et fûmes accueillis pour la nuit par le père Hauck, complice de ces chers pères dionysiens, au Séminaire.
Quelques sacs-à-dos furent chargés de petits pains, tranches de jambon, saucissons, oranges, lait concentré ou en poudre. Nous emportions également des boîtes de Nescafé, d’Ovomaltine, assez différent de celui que l’on trouve aujourd’hui : il était en granulés, ce qui permettait de l’avaler à la cuillère plus aisément et valait quelques taloches plus facilement aussi. Incontournables aussi, les boîtes ovales de pâté-de-foie Etoile d’or et quelques tablettes du chocolat Le Meilleur (le moins cher également). Les inévitables macatias achetés grand-matin chez Ti-Louis, à Cilaos (c’était lui l’inventeur de notre petit pain rond). Une gourde d’eau par tête de pipe. Baskets et shorts de gym, plus un pantalon pour la nuit. Le lendemain aux petites aubes, le camion du père Hauck nous déposa au départ du sentier, au Bloc. Et fouette shadock !
Nous étions une quinzaine et pour être sûrs de ne pas nous égarer, nous nous donnâmes des numéros d’ordre. Des numéros hurlés épisodiquement pour être certains que l’un de nous n’avait pas fini sa course dans le ravin. Que l’on se rassure, nous ne perdîmes personne, dûment chapitrés par le plus âgé, le sieur Joseph Paramet, un « grand » de première.
Si mes souvenirs ne sont pas trop faisandés, il devait y avoir Régis Patou, Gérard Payet, Jean-Luc Eugénie, Daniel Lauret, un anar de la première heure, Georges Tipveau, le frère de Bibique, mon frère Michel, bien sûr, car nous n’avons JAMAIS effectué de coup pendable l’un sans l’autre.
Le brave Ernest Maillot, guide incontournable
En ces temps où le Piton était très peu fréquenté, le gîte de la Caverne-Dufour, géré par l’ONF, n’était qu’une baraque en ciment fermée à clef. Confort strict minimum, puisque personne ou presque n’y allait. Deux estrades en bois où poser son sac de couchage et c’était tout. En fait de sacs, nous avions in’couverte, comm di créole, vous savez, ces couvertures rouges et noires de l’armée, lourdes comme un âne mort, inconfortables, rêches. Déjà bien contents de les avoir.
Pour ouvrir le gîte, on nous avait adjoints le brave Ernest Maillot, ouvrier de l’ONF, lequel était également chargé de nettoyer le tout après. Lui portait son viatique dans un goni accroché à l’épaule. Il ne marchait pas, il galopait. Nous avons bien essayé de suivre son train infernal, en pure perte. C’était pas un homme ; c’était un cabri. Je vous reparlerai de ses exploits plus loin.
Comme il n’y avait pas assez de place au gîte, quelques-uns choisirent d’investir la Caverne-Dufour, à quelques pas de là. Une excavation basse de plafond qui avait la caractéristique d’attirer à l’intérieur la fumée des feux que l’on entretenait au-dehors. Fallait garnir le sol de paquets de brandes verts pour pouvoir s’y vautrer à peu près correctement. On ne savait pas, alors, que le brande était protégé. On n’en abusait pas non plus, faut rien exagérer.
Pisser dans le brasier
Ce que peu de gens savent, c’est qu’il y a une autre grotte, dans le genre minuscule, au bord du sentier descendant vers Hell-Bourg. Il faut être un peu contorsionniste pour y entrer car ça ne doit pas avoir plus de 1m « de hauteur sous barrots » comme disent les navigateurs.
Elle n’offre de place que pour deux dormeurs et faut pas grouiller la nuit. Autant dire que c’est un mauvais refuge pour amoureux transis ; je le sais, j’ai essayé… plus tard.
Lorsque nous parvînmes en haut de la Pente-des-Sables, avec vue sur le gîte, nous poussâmes de grands cris d’enthousiasme car nos pattes té qui cri tir ! JEC oblige, nous adressâmes force actions de grâces à la Vierge puis nous allâmes nous installer. Le bois sec ne manquant pas dans les parages, nous fîmes un grand feu sous prétexte de réchauffer nos bouts de pain, mais surtout pour le plaisir.
C’est alors que pour faire son malin, Georges Tipveau jugea de la plus haute finesse de pisser dans les flammes.
Ce qui fit monter dans l’air frais de la nuit à peine entamée, une âcre odeur d’urine brûlée et je vous jure qu’il y a des fumets plus intéressants.
Crises d’asthme et relents d’urine tipveauesques…
Tipveau échappa de peu au lynchage mais n’y coupa pas de quelques sévères bordées d’injures aussi peu catholiques que possible. C’est alors que nous eûmes à faire face à un mini-drame bien imprévu, venu de ce que personne n’avait songé aux conséquences de l’altitude. Plusieurs crises d’asthme se déclarèrent en même temps, au moins quatre d’entre nous en furent victimes.
En scientifique qu’il a toujours été, Michel trouva illico l’explication : l’altitude. « Eh, les mecs ! On est à plus de 2.500 mètres, ici à la Caverne. Personne n’y a pensé. Plus les relents de pisse de ce con de Tipveau… »
Les victimes intégrèrent immédiatement le gîte et se collèrent sous leurs couvertures. Le mal finit par s’en aller, sans doute en raison des prières bourrées de componction et de lamentations et autres auto-flagellations dont il avait le secret, de la part de l’émoncteur (auto néologisme) irrépressible qu’était le Georges Tipveau. Il lui fallut bien une demi-heure de dévotions avant de chasser le Malin.
Le lendemain, dès potron-minet, autrement dit par nuit noire, nous nous mîmes en route vers le sommet, dans une caillasse qu’on distinguait mal à la lueur des lampes de poche. Dans un froid de canard aussi. Jurons peu chrétiens à la pelle… Il nous fallut une heure pour arriver sur le toit de l’île et là, je sus pourquoi mon Pépé Justinien avait des étoiles plein ses grands yeux bleus en nous racontant la « Mer de nuages ».
Une merveille de dame Nature
C’était encore entre chien-et-loup, une clarté naissante très douce. Pas un souffle de vent, ce qui permettait de mieux supporter ce glacial petit froid de juillet. Nous étions emmitouflés dans nos pulls et cache-cols. Certains étaient même engoncés dans leurs grosses couvertures prêtées par le Séminaire.
Malgré cette température digne du « Voyageur du Mézozoïque », nous étions bien. Il nous semblait plutôt que nous baignions dans une douce torpeur, due au calme sans doute.
Nous étions totalement coupés du monde ; à part le sommet du Piton, une épaisse masse de nuages couvrait tout ce qui était à nos pieds, le cirque de Cilaos n’existait plus ; seul les sommets du Grand-Bénare et du Gros-Morne émergeaient du coton ; toute la planèze descendant doucement vers la Plaine-des-Cafres était recouverte par cette formidable ouate qui allait jusqu’aux bases du volcan. Debout sur notre Piton, de longues années avant Di Caprio, nous étions les maîtres du monde, intronisés, protégés des importuns par la Mer de nuages de mon pépé. Je me promis de lui en parler dès notre prochaine rencontre. Une merveille de plus que nous découvrions, Michel et moi, grâce à ce vieux bonhomme qui savait décidément tout.
Des mandragores au Piton !
Et tout s’en alla comme par magie. Il a suffi que se lève un tout petit alizé et hop ! La Mer de nuages ne mit que quelques minutes à se transformer en souvenir ; Cilaos se découvrit, loin en bas, tandis que le chien des De Palmas, énorme danois plus impressionnant que le dogue noir des Baskerville, réveillait le cirque à nos pieds.
Tout le reste des Hauts en fit de même tandis qu’un petit soleil d’hiver pointait le bout de son nez très loin.
Je ne sais si ce fut sous l’influence de ce qu’on nous avait si souvent raconté… mais là-bas, loin là-bas, alors que plus une goutte de nuage ne barrait l’horizon, il nous sembla voir comme un petit tiret noir, très bas sur l’horizon.
« Ca Maurice, ça, couillon ! »
L’émulation acheva de nous en persuader et les quelques petits appareils Kodak en plastique photographièrent comme des fous un point d’horizon où il n’y avait que mer et ciel, négligeant notre z’étoile quatrèr-d’matin filant retrouver Morphée plutôt que son cocu d’Hadès.
Cette expérience du sommet de l’île, avec des chiards comme nous, ne pouvait décemment s’achever dans l’émerveillement poétique comme ce devrait toujours être le cas.
L’un de nous, je ne vous dirai pas qui car il vit toujours, le saligaud, nous avait bien dit qu’il ferait « quelque chose » s’il arrivait là-haut. Car chacun de nous avait bien l’intention de marquer son exploit personnel, la plupart au moyen d’un petit billet qui serait confié au grand vent et portant le nom de sa chérie du moment : le mur du Piton n’était certainement pas celui des Lamentations pour nous.
Mais nous étions bien loin de soupçonner la noirceur des intentions du copain. Nous le savions obsédé sexuel mais « ça »… Là, devant tout le monde, avec un large sourire sur sa tronche de libidineux, il se débraguetta et, d’un poignet ferme, s’administra une branlette à vitesse supersonique.
Le froid ne freina pas ses ardeurs le moins du monde et ce fut peut-être la première fois dans l’histoire de l’Univers que la Nature reçut un hommage aussi imprévu qu’immérité, rapide et grossier. Les mandragores chères à Michel Tournier n’en gagnèrent pas en force. « Never say never again ! »
La descente vers le gîte Dufour ne nous prit qu’une petite demi-heure. Nous avalâmes force rasades de Nescafé ovomaltiné, avec un peu de lait en poudre, inventeurs du capuccino avant la lettre. Séjour autour de la petite source en contrebas de la Caverne puis il fallut songer à se rapatrier vers Cilaos. Ce que nous fîmes le cœur un peu gros sans doute.
Nous arrivâmes au Séminaire les jambes en compote et le dos en marmelade mais ravis de cette religieuse première fois. Tellement fourbus, cependant, que nous nous jurâmes bien de ne plus réitérer cette folie. Tu parles ! Chaque fois qu’on nous le proposa, nous sommes remontés là-haut réjouis et enthousiastes. Un Piton, c’est irremplaçable. Deux, c’est mieux. J’ai eu la chance d’y grimper une vingtaine de fois. Notre pote Zalan, lui, y est allé une bonne cinquantaine de fois, si le compte est bon.
Tétés, boyos et bertelles-vacoa…
Il se passa quelques années avant que nous décidâmes d’y retourner. Nous étions alors en août, en changement d’air à ce qui était Village, à savoir Etang-Salé-les-Bains.
Après quelque homérique bataille contre les vagues du Banc, ayant suffisamment exhibé nos minables pectoraux et nos muscles Dodo-Pils (demandez à papa !) à nos copines guère foudroyées par l’admiration, avachis sur le sable noir, nous en étions à admirer le charme et la conversation de nos copines de vacances. Pour les non-initiés, lorsque je dis « charme et conversation », comprenez « tétés et boyos ». Que les Mireille, Sonia, Josiane, Marlène, Jojo, « Falbala » et autres Chantal exposaient à l’envi… et je n’ai toujours pas compris pourquoi, en certaines occasions, « envi » ne prend pas de « e » vu que… Je crois que c’est Ti-B qui en a le premier émis l’idée, suivi de Jean-Hugues, ou de Zalan peut-être ?
Le lendemain matin, Zalan et moi allâmes en vélomoteur à Saint-Louis. Lui sur sa belle Florett-Kreidler qui faisait baver toute l’île ; moi sur ma Mobymatic qui se donnait des aires de bolide avec ses 49 cc. Nous nous rendîmes au marché de Saint-Louis acquérir des bertelles-vacoa car les sacs-à-dos, nous n’en avions jamais entendu parler ou presque. Vous imaginez la tronche des deux vaillants motocyclistes avec leurs bertelles-vacoa flottant dans le vent jusqu’à Village…
Je peux tout-de-suite vous affirmer que nous n’avons JAMAIS renouvelé l’expérience ! Parce que si cet outil plus que vénérable rend moult service aux travailleurs des champs, il n’a jamais, mais alors là jamais été conçu pour remplacer un sac-à-dos.
Des provisions à la Paul-Emile Victor
Parce qu’il faut en emporter, des choses, au Piton. Pas question, par exemple, de se goinfrer de sandwiches banals. Là, ça relevait carrément de l’expédition-survie des commandos de la Légion.
Riz, tomates, ail, oignons, piment, boucané, saucisses fumées, bringelles, café soluble, boîtes de lait concentré Nestlé, rations d’Ovomaltine, pastilles contre la toux, sabres-à-cannes pour couper les litières de brandes, pulls épais, chaussettes de rechange, imperméables en grosse toile caoutchoutée, bonnets de nuit et j’en oublie certainement. Bref, on démarrait chargés comme des baudets.
Tout cela partait en expédition avec nous. Plus les marmites. Plus les aloufs. Plus les lampes-tempête. Plus le pétrole idoine et adéquat. Plus les indispensables rations de cigarettes « Bastos bleues » ou « Gauloises », les plus âpres, les moins chères avec les « Indiana » ou « Mélia ». Et quelques bonnes bouteilles de vin rouge et, en cas de défaillance des cœurs purs, un peu de Punch des Îles oh ! à peine trois ou quatre litres. Défaillance… tu parles !
Bref, nous nous retrouvâmes une petite quinzaine de branleurs à nous partager la charge. Paul-Emile Victor n’en embarquait pas tant. Quinze mais ça en faisait beaucoup par tête de pipe. Et dans une bertelle-vacoa, ça pèse avec ces montants qui vous entrent dans la chair.
Ce fut la première et la dernière fois que nous utilisâmes ces engins de torture dignes de Torquemada ! Lorsque nous fûmes revenus, nous nous précipitâmes vite fait chez les « Carreur’ » (prononciation nauchienne ou Toto-la-fièvresque pour « Carrère », comprenne qui pourra !) à Saint-Denis, acheter un matos digne de ce nom. Parce que le Piton, on ne s’en est jamais lassé.
Ti-B et Jean-Hugues : un petit marathon pour rire ?
Je ne vais pas vous narrer encore la montée au Piton, la Mer-de-Nuages etc. Le Piton est « tel qu’en lui-même l’éternité le change », a dit un poète. Quelques anecdotes seront plus appropriées… Cette deuxième fois, plus de camion du père Hauck. Nous quittâmes Cilaos à pinces. Et là, Ti-B et Jean-Hugues (paix à leur mémoire) se lancèrent un défi: « On se fait un petit marathon jusqu’au sentier ? »
Fallait bien épater les copines qui étaient de la partie. Il n’y avait, après tout, que 5 kilomètres avant de grimper. On les recueillit en train de vomir tripes et boyaux avant la bifurcation de la Roche-Merveilleuse. A cause de ces deux poseurs, la grimpette fut retardée de deux heures, le temps qu’ils décident si oui ou non ils continuaient. Ils continuèrent : il y avait les filles…
Au fur et à mesure de la montée, nous apprîmes à mieux connaître des lieux qui pour nous, plus tard, allaient devenir célèbres. Comme le Petit-Matarum.
« Danube bleu » et cuite au Petit-Matarum !
Le Petit-Matarum est un coin absolument délicieux, une sorte de faux-plat salvateur, bien à propos, à mi-chemin entre le départ, au Bloc, et le gîte de Caverne-Dufour. A cette époque héroïque, s’y dressait une petite cabane montée voici longtemps par des ouvriers forestiers. Sol en ciment et toit en feuilles sèches régulièrement renouvelé.
Un jour comme ça, nous grimpions à quatre, Zalan, Joël Dupont, mon éternel complice Michel, et moi. Ciel lourd et bas, nuages atteints de Parkinson violent. Quelque démiurge aidant, la pluie se mit à charroyer sévère juste quand nous arrivions à la hauteur de la cahute. Hourra ! Occasion trop bonne pour qu’on la laisse filer, nous enquillâmes la petite cabane, déballâmes le jeu de tarot et les boutanches de Punch-des-Îles (pub Chatel gratuite). Et vas-y que je te siffle !
Ca, pour siffler, nous sifflâmes. Ou plutôt, nous chantâmes, sur l’air du Beau Danube bleu et, surtout, de « Oui nous nous reverrons, mes frères ». Vous connaissez ? Mais avec des paroles totalement improvisées mais dont je me souviens comme si c’était hier (oreilles chastes s’abstenir) :
« Languettez vot’ nénène, mes frères,
« Totochez out’ momon,
« Et a-allez fé bour’ à ou
« Et-et pluchez votre pipe ! »
Droits d’auteurs réservés.
Oui, je sais, c’est grossier, vulgaire, intolérable de la part de quatre jeunes si bien élevés. Pas notre faute : voyez avec les frères Chatel !
La pluie, généreuse, nous accorda assez de temps pour liquider deux litres de punch et parfaire notre veine poétique, après quoi nous repartîmes comme des boulets de canon, ragaillardis par un sonore et vigoureux « Chargeeeezzzz ! »
« Les Bleus dans la gadoue », c’était nous.
Inutile de préciser que lorsque nous arrivâmes au gîte, deux bonnes heures plus tard, jambes coupées par le tabac et l’alcool, nous étions pétés comme des coings, brûlés comme des savates et frais comme des gardons péchés de quinze jours.
A mes actes manqués…
Notre état physique me rappelle ce que m’avait dit « Gros-Max » Nativel lorsque nous prîmes notre première leçon de judo au-dessus de la caserne des pompiers, chapitrés par Marc Gérard : « Cigarette èk la raque i sorte par tits morceaux ! »
L’excursion du Piton, la plus belle de toute l’île, foisonne d’anecdotes et de cocasseries. Une fois, en arrivant par la Plaine-des-Cafres, alors que nous avions campé à mi-pente dans une petite grotte en contrebas du sentier, nous vîmes d’insolents tangues bien gras venir nous piquer les morceaux de boucané que nous comptions cuire le soir avec des bringelles. Et comme des crétins, nous trouvions cela charmant. Ils ont bouffé la moitié de notre stock de boucané, ces fumiers, avant qu’on ne daigne réagir. Total, les tangues ont remplacé le boucané. Y’a prescription.
Une fois encore, au gîte, il y avait une copine à propos de laquelle je caressais des projets très peu platoniques. Comme elle était épuisée, elle ne voulut pas poursuivre la grimpette vers le sommet, au petit matin. Je décidai sournoisement de ne pas la laisser seul, par pure charité chrétienne, vous pensez bien.
Tout le monde parti, nous mîmes toutes les couvertures les unes sur les autres et nous nous lovâmes « l’une contre moi », si j’ose dire. Elle avait alors les lèvres très près des miennes, je sentais son souffle sur mon visage. Je me suis trouvé tellement con, tellement timide… que je restai tétanisé par autant de chance. Au bout de quelques minutes, je l’entendis ronfler. Raté !
Ah oui… A propos de M. Ernest… Une fois, alors que nous nous retrouvions sans alcool au gîte, il se proposa d’aller en acheter à Cilaos. Nous lui donnâmes l’argent et il partit avec sa bertelle-goni, alors qu’il était vers les 18 heures. Trois heures plus tard, il était de retour avec sa bertelle-goni bien chargée. Chapeau, mec !