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Sica Lait : En attendant la fin…

Nous publions à la Une ce Courrier des Lecteurs d'une productrice de lait de la Plaine des Cafres, Danielle Boyer, car il pose enfin les bonnes questions sur la situation de la Sica Lait. Il s'agit là des "constats", des "observations", des "réflexions", des "craintes sur la situation passée, présente et future du groupe". Une analyse faite par quelqu'un du métier, qui parle de ce qu'elle connait, et qui ne peut qu'interpeller tous les acteurs de la filière. La rédaction de Zinfos. (Les intertitres sont de la rédaction)

Ecrit par zinfos974 – le lundi 21 septembre 2015 à 04H39

Je m’appelle Danielle Boyer, je suis producteur de lait à la Plaine des Cafres. Je ne peux rester insensible et indifférente aux divers articles parus dans les journaux ces derniers jours et l’actualité du groupe SICA Lait depuis plusieurs mois.

Je souhaite aujourd’hui apporter mon témoignage. Je veux partager mes constats, mes observations, mes réflexions, mes craintes sur la situation passée, présente et future du groupe. Ce qui sera écrit n’engage que moi.

Je sais que je signe mon arrêt de mort

Je ne suis pas naïve, je sais que je signe probablement mon « arrêt de mort » et que je me tire une balle dans le pied en faisant cela mais trop c’est trop.

Nous savons tous ce qui arrive à ceux qui gênent et dérangent : directeur viré, conseil d’administration révoqué parce qu’ils ont essayé de travailler proprement.

Je m’attends à avoir des représailles : un acharnement administratif est vite commandé, des résultats de qualité du lait dégradés, un arrêt de livraison des commandes effectués… Tout sera bon pour intimider et faire pression. Mais j’ai pour habitude de dire ce je pense quand tout va bien ou mal.

J’ai bien essayé de poser mes questions aux personnes concernées mais je n’ai pas eu de réponses.

Avec cette démarche, j’aurai peut être des réponses mais probablement pas celle que j’attends.

Beaucoup de mes collègues parlent de leurs difficultés, des problèmes de gestion à la Sica Lait relevés par l’audit, mais personne n’ose en parler ouvertement car ils ont peur de ne plus être soutenus par la filière s’ils vont à son encontre. J’ai un moment partagé cette position, je peux les comprendre mais j’ai du mal à l’accepter. Ce n’est pas de cette manière que nous avancerons.

Que ce soit bien clair, j’ai peur moi aussi (pour ma famille, pour mon exploitation, pour ma personne), mais il faut que cela change. Je veux pouvoir vivre de mon métier proprement et en toute confiance avec ma coopérative. Je veux avoir une visibilité sur l’avenir de mon exploitation qui fait vivre aujourd’hui ma famille, celle de mon ouvrier et tous ceux qui occupent les emplois indirects qui en découlent.

On ne va pas refaire l’histoire, ce qui est fait est fait.

Le départ du directeur aura servi à révéler les dysfonctionnements

En décembre 2014, salariés et éleveurs se sont mobilisés (en service commandé) pour virer un directeur qui faisait son travail et qui le faisait bien. Je pense qu’il a été le seul à avoir travaillé dans l’intérêt des adhérents. Il avait d’ailleurs découvert de nombreux éléments révélés par l’audit.

Ce départ, aussi déplorable soit-il (pour trois mots de travers), aura d’une part servi à révéler plusieurs dysfonctionnements et d’autre part servira, j’espère, à remettre de l’ordre dans tout ça.

L’éleveur passe beaucoup de temps sur son exploitation et a peu ou pas de temps à consacrer au suivi des projets et à la vie de sa coopérative. Il participe à quelques reunions techniques et à l’assemblée générale annuelle. Il fait confiance aux personnes mandatées pour le défendre, le conseil d’administration. Ce dernier travaille et fait confiance à sa ou ses directions pour mener à bien les objectifs définis et les projets à mettre en place. On a tous toujours cru que c’était un fonctionnement normal.

Et là, on se rend compte avec l’audit que nous sommes à côté de nos pompes, et que ceux qui étaient aux commandes ont fait ce qu’ils ont voulu et sans scrupules.

Après réflexion, j’en arrive à penser qu’il y a toujours eu une volonté manifeste de bien séparer les éleveurs qui assurent la production de lait et la Sica Lait qui achète le produit et ceci explique cela.

Une culture du secret

Il existe au sein de cette entreprise une culture du secret qui est impressionnante. Les adhérents sont considérés comme des ignorants mais là il faut avouer que c’est de notre faute. Nous avons laissé faire. C’est malheureux à dire mais c’est comme si nous avions été formatés.

Il y a eu une période, brève certes, durant laquelle l’équipe en place était fière de présenter le travail accompli et les adhérents avaient à tout moment des informations sur l’évolution des projets et sur la production réalisée (globale ou personnelle). Aujourd’hui, c’est redevenu un sujet tabou.

Fin août 2015, j’ai adressé un courrier au conseil d’administration afin de leur faire part de mes inquiétudes
        –  suite aux résultats de l’audit et leur demander les suites qu’ils comptaient y donner,
        –  sur la situation des élevages en difficulté sans cesse en augmentation,
        –  sur la baisse des aides européennes en 2016 et comment pensaient-ils les suppléer,
        –  sur la baisse de la production laitière (on parle de -5% par rapport à 2014),
        –  sur la dégradation des services proposés aux adhérents,
        –  ….. A ce jour, je n’ai reçu aucune réponse de leur part, pas même un appel téléphonique (aussi hypocrite soit-il !!) pour rassurer un adhérent inquiet. Une preuve de plus qu’ils n’ont aucune considération pour l’adhérent, base même de la Sica Lait. Je ne veux pas être parano mais peut être suis-je la seule à qui on ne répond pas.

Les salariés profitent. Et les producteurs de lait?

L’audit a révélé que les adhérents, dont beaucoup souffrent financièrement, ne bénéficient pas des remontées des filiales qui profitent aux dirigeants et aux salariés avant tout. Est-il juste que les dirigeants bénéficient de primes fixes quelque soit la conjoncture ? Est-il normal que certains salariés bénéficient de primes équivalentes de 1,1 à 1,8 fois leur salaire, d’avantages en nature (non déclarés alors qu’imposables) alors que les éleveurs croulent sous leurs charges ? Ce que l’audit ne dit pas c’est le montant de leurs salaires. Ils gagnent sur tous les tableaux. Je n’ai pas fait de longues études, mais il suffit de regarder la masse salariale et le nombre d’employés pour conclure que soit ils ont tous un salaire dont ils ont à rougir, soit certains profitent bien, voire même très bien, et que les autres ramassent les miettes.

Les adhérents ont tous contribué à la mise en place des filiales, mais à aucun moment ils n’ont été sollicités pour en devenir actionnaires. Et là aussi l’audit nous dit pourquoi. Si les adhérents avaient un pouvoir de contrôle sur les filiales, le transfert de gouvernance de la maison mère aux filiales, on n’en parlerait même pas. Voilà encore une volonté de les écarter et de les mener à la baguette !!

Avoir des filiales, très bien !! Mais à quoi bon puisque la maison mère en a été totalement écartée au niveau des décisions ? Les premières remontées financières des filiales se sont faîtes en 2013 à l’arrivée d’Olivier Dekokère !! Nous retrouvons quasi le même schéma à la Cilam. En 2001, REUNILAIT a fait l’acquisition pour 55 millions de francs soit un peu plus de 8,3 millions d’euro d’actions Cilam. La Sica Lait a participé à hauteur de 10 millions de francs soit environ 1,5 million d’euro que les éleveurs ont sorti de leur poche. Ces participations ne leur rapportent rien et ne leur ont même pas donné un pouvoir de décision.

La crainte de l’avenir

Il existe un accord qui veut que Réunilait et la Sica Lait adoptent la même position pour les décisions lors des assemblées générales Cilam. Réunilait appartenant majoritairement à l’Urcoopa, pensez-vous vraiment que la Sica Lait fasse le poids ? Ces accords de 2001 sont-ils toujours valides ?

J’entends souvent, autour de moi, certains éleveurs dire qu’ils considèrent l’ancien directeur comme leur papa. J’ai envie de leur demander si un père digne de ce nom profiterait d’un cinq étoiles alors que ses enfants crèvent de faim ? A moins qu’ils aient profité ou profitent encore d’aides dissimulées. Certains diront que je ne l’ai pas ouvert quand j’ai été aidée. Si, si, je l’ai ouvert pour remercier toutes celles et ceux qui m’ont aidé à reconstituer mon cheptel pour pouvoir continuer. Et c’est parce que je considère que c’est le rôle de la filière de défendre et d’aider ces adhérents que je parle, parce qu’il faut qu’elle puisse continuer à aider ceux qui sont ou seront dans le besoin comme moi.

On entend ici et là (certains commencent à parler et il n’y a pas de fumée sans feu) que l’ancien directeur oeuvre à son retour non seulement à SDPMA mais aussi à la Sica Lait.

Mais que les choses soient claires, il ne revient que pour s’assoir sur ses magouilles avant qu’elles ne soient divulguées et pour remettre dans ses poches. Ce ne sera sûrement pas pour travailler pour les adhérents.

Plus sérieusement,
        –  l’audit parle d’une convention d’approvisionnement entre la Sica Lait et les transformateurs pour laquelle nous n’avons aucune sécurité juridique. Si je sais lire, cela veut dire qu’il suffit que l’un des signataires se désiste pour une raison quelconque pour que la nullité de la convention soit prononcée par voie judiciaire et que les signataires soient dégagés de tout engagement. Au final, nous produisons du lait et nous investissons pour améliorer notre outil de travail mais la vente du lait peut être compromise du jour au lendemain !!!
        –  les aides européennes seront revues à la baisse en 2016. Où allons nous trouver les fonds nécessaires pour les remplacer ? Risque-t-on une baisse du prix du litre de lait ?
        –  La production laitière est en baisse. On parle de – 5% et si je sais compter, on ne doit pas être loin du million de litres en moins par rapport à 2014. Pourquoi une telle chute, alors qu’en 2014 c’est la quantité qui a été réalisée en plus par rapport à 2013 ? Une partie des aides européennes est basée sur le développement de la production laitière notamment avec le projet DEFI. Quid de ces aides puisque là on ne parle plus de développement ?

On nous a toujours dit que l’écoulement de la production était assuré et que le prix serait maintenu. Cela ne semble pas si évident au final !!

Imaginons simplement que dans les jours qui viennent des adhérents vont demander des comptes aux dirigeants et demandent à récupérer au moindre centime tout ce qui leur est dû depuis des années. Que se passera t-il ? De plus, il n’est pas exclu que la structure soit visitée par les services fiscaux.

La nécessité de remettre de l’ordre

Je pense qu’il y a un gros travail à faire pour mettre de l’ordre dans tout ça et que les éleveurs récupèrent leur outil et puissent travailler sereinement.

Je suis comme on dit aux culs des vaches tous les jours et je ne maîtrise pas les rôles des différents acteurs et partenaires qui gravitent autour de la filière (l’autorité de tutelle, le président de l’union des coopératives, les services de contrôle de l’état, ….), alors à vous de me dire quel est votre rôle quand tout va de travers.

Je pourrai écrire encore quelques pages mais si vous avez lu jusqu’ici, je vous dis merci.

Il me reste encore un message et une question à adresser à mes collègues et aux salariés du groupe (je précise Sica Lait et filiales) :
Et vous ?

Un grand Homme (El Ché) a dit : « Mieux vaut mourir debout que passer toute une vie à genoux ».

Danielle Boyer

 

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