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Noyade du petit Matthieu à St-Leu : Le maire responsable mais pas coupable ?

Président de l'association VAGUES et surtout célèbre pour avoir nagé plusieurs heures sur les spots où il y a eu des attaques de requins, l'écologiste Didier Dérand publie un courrier dans lequel il revient sur la mort par noyade de Matthieu, quatre ans, à la Pointe au Sel le 6 février 2011. Il s'interroge sur la responsabilité du maire de Saint-Leu, Thierry Robert. Voici ce courrier:

Ecrit par Didier Dérand – le lundi 26 novembre 2012 à 10H59

Dimanche 6 février 2011. Un père de famille emmène ses deux enfants se baigner dans le bassin naturel du site de la Caverne, à la Pointe au Sel (commune de Saint-Leu).
Fin d’après-midi, une vague un peu plus grosse les emporte.
Le père sauve son aînée. Mais le petit Matthieu, 4 ans, y laissera la vie : on retrouvera son corps quelques jours plus tard, coincé dans les rochers.
Près de deux ans plus tard, saisi d’une plainte de la mère contre son ex-conjoint, le parquet poursuit le père en correctionnelle pour homicide involontaire (JIR et Quotidien des 24, 25 et 26/10/12). Sujet délicat s’il en est. Et sur lequel il est bien difficile de s’exprimer.
Mais cette procédure étonnante interpelle. Alors en amoureux de la mer et des libertés individuelles, en simple citoyen, je me permettrai de donner un avis sur deux points.

Les médias ont beaucoup insisté sur le « danger » du site de la Caverne.
Largement fréquenté par les réunionnais depuis des décennies, ce site, aussi loin que je m’en souvienne, n’avait jamais connu d’accident. En tout cas je n’en ai pas retrouvé trace depuis près de 15 ans (1998) dans les archives de la presse locale accessibles sur le Net.
Certes, un jeune homme s’était fait emporter à la Pointe au Sel 15 jours plus tôt. Mais à défier bêtement les vagues par jeu, en bord de falaise, on risque sa vie, non ?
Pour les médias, grossir le danger et diaboliser l’océan fait vendre : ça aide à crééer « l’évènement ». Mais en réalité le site de la Caverne, comme tant d’autres donnant directement sur l’océan à la Réunion, ne présente un danger éventuel que lorsque la mer est forte.
Une longue expérience de la mer m’a appris une chose : le « danger » est en inverse proportion de la connaissance de soi (ses capacités du moment) et de la connaissance de l’élément. Le simple bon sens, et une prudence élémentaire, suffisent le plus souvent à se garder en vie.
Pour le reste, la mer est un milieu naturel, éminemment variable et, par essence, imprévisible.
J’y ai pris suffisamment de raclées pour savoir qu’à tout moment une série de vagues plus forte peut arriver, celle improbable qu’on n’attendait pas, celle dont on se demande : « M…! Mais d’où elle sort celle-là ?! » quand on a peur, tout d’un coup, mais que l’on sait aussi qu’il est déjà trop tard….
A part Dieu peut-être, qui peut prétendre tout prévoir ?
Diaboliser la mer n’aboutit in fine qu’à une chose : donner aux maires, peu enclins à se retrouver en accusation au tribunal, un excellent prétexte pour tout interdire, au mépris trop souvent du droit et des libertés individuelles.
C’est ce qui se passe à Boucan et à Roches Noires.
C’est ce qui s’est passé à Saint-Leu où le 1er mars 2011, un mois après la mort de Matthieu, le maire a sorti un arrêté interdisant la baignade sur plus de 90 % du littoral de la commune, et interdisant définitivement l’accès à plus de la moitié du littoral.
Ce qui m’amène à présent au 2ème point.

On traîne le père au tribunal. Soit. Mais qu’en est-il du maire ?
La baignade libre (non réglementairement aménagée et non interdite) se pratique d’abord aux risques et périls des intéressés, un point repris par le code général des collectivités territoriales en son article L.2213-23. Mais cette notion n’occulte en rien l’obligation générale de sécurité que ce même code fait peser sur le maire (L.2212-1 et 2).
L’évolution de la jurisprudence a permis de mieux cerner les responsabilités du maire en la matière et les dispositions suivantes sont désormais reprises de façon classique dans les décisions rendues par les différentes juridictions administratives :
« En vertu des dispositions de l’article L.2213-23 du code général des collectivités territoriales, il incombe au maire d’une commune sur le territoire de laquelle sont situés des lieux de baignade qui, sans avoir été aménagés à cet effet, font l’objet d’une fréquentation régulière et importante, même de manière saisonnière, de prendre les mesures nécessaires destinées à assurer l’information, la sécurité et le sauvetage des baigneurs en cas d’accident ».
Le contenu des mesures de prévention est précisé dans une réponse du ministre de l’intérieur à un particulier (2 février 1983) : « elles doivent assurer une intervention rapide des secours en cas d’accident. Le maire est tenu de mettre en place au moins un dispositif d’alerte situé à proximité de la zone de baignade et permettant de joindre sans délai un centre de secours doté d’équipements de réanimation et d’évacuation ».
Enfin, dès lors qu’une baignade connaît une fréquentation habituellement importante, même de manière saisonnière, elle doit être aménagée et surveillée. Pour les baigneurs, il ne saurait en effet y avoir de réelle sécurité sans surveillance.
A noter que les responsabilités du maire susvisées sont exposées in extenso dans le jugement rendu par le tribunal administratif de la Réunion le 20 mai 2010, qui a condamné la commune de Saint-Leu à verser près de 45000 euros d’indemnités à la famille d’un touriste noyé en tentant de porter secours à trois enfants emportés par le courant dans le lagon de Saint-Leu.
Le maire ne saurait donc arguer de son….manque d’information. Pourtant il aura fallu deux morts de plus avant que la commune ne se décide à prendre le problème à bras le corps !

Dans le cas de l’accident du petit Matthieu, on note au moins trois insuffisances :
– celle de l’information du public, avec une absence flagrante de signalisation des « dangers ».
La baignade sur le site de La Caverne n’avait jamais été réglementée – à fortiori interdite – avant le fameux arrêté municipal du 1er mars 2011. Et le seul panneau qui y figurait à cette époque indiquait : « Baignade déconseillée et non surveillée ».
– celle du dispositif d’alerte des secours : il n’y en a jamais eu à proximité du site : ni de cabine téléphonique, ni même une simple borne d’appel comme celle que la commune de Saint-Paul a installé depuis quelques mois sur la plage de Trou-d’Eau.
– et bien entendu l’absence de surveillance.

La jurisprudence en la matière est constante. Je rappellerai notamment les arrêts suivants, en particulier ceux du Conseil d’Etat (CE), la plus haute juridiction en matière administrative :
arrêt CE du 30 janvier 1980 (Consorts Quiniou, N° 12.928) :
« (…) qu’il résulte de l’instruction (…) qu’en cet endroit la baignade est particulièrement dangereuse en raison d’un fort courant qui entraîne les baigneurs vers le large ; qu’il est constant que la commune de Penmarc’h n’avait pas signalé ce danger (…) ; que cette absence de signalisation est constitutive d’une faute lourde qui engage la responsabilité de la commune de Penmarc’h ; (…) ».
arrêt CE du 9 mai 1980 (Commune de Ladignac-Le-Long et MM Courteille, N° 7.213, N° 7.393):
« (….) qu’il résulte de l’instruction qu’aucun arrêté du maire interdisant la baignade ou avertissant les usagers des dangers que présentait le plan d’eau n’était en vigueur au jour de l’accident ; que le maire, lequel avait été averti du danger que présentait le plan d’eau, avait laissé en place les panneaux portant l’indication « baignade non surveillée » ; que le maire a ainsi commis une faute dans l’exercice de ses pouvoirs de police ; (…) ».
arrêt CE du 13 mai 1983 (Mme veuve Lefebvre, N° 30.538) :
« (…) l’absence à proximité des lieux de baignade, de tout moyen permettant d’alerter rapidement un centre de secours, a constitué de la part du maire de Tanneron une faute dans l’exercice des pouvoirs qu’il tenait de l’article 97 du code de l’administration communale ; (…) »
arrêt cour administrative d’appel de Marseille, 13 février 2006 (comm. Bonifacio, n° 04MA00249) :
« (…) qu’en l’espèce la plage de Rondinara, située sur le territoire de la commune de Bonifacio, est très fréquentée en été (…) ; que toutefois (…) cette plage, comme d’ailleurs les autres plages de la commune, ne fait l’objet d’aucune surveillance et ne comporte aucun dispositif permettant d’assurer la sécurité et le sauvetage des baigneurs en cas d’accident ; que cette carence du maire dans l’exercice de son pouvoir de police est constitutive, alors même que la plage ne présenterait pas de danger particulier, d’une faute de nature à engager la responsabilité de la commune ; (…) »

Il ne me semble pas utile d’aller plus loin : on aura compris le sens de mon discours.
S’agissant d’une éventuelle imprudence du père eu égard aux conditions météo, je n’étais pas sur les lieux ce jour-là : je ne me risquerai donc pas à émettre un jugement.

De deux choses l’une :
1) soit le site de la Caverne n’est pas spécifiquement dangereux.
Mais alors les mesures d’interdiction de baignade et d’accès (!!) imposées par le maire sur ce site (art. 1er de l’arrêté municipal du 1er mars 2011) sont illégales, ayant pour motivation essentielle d’assurer avant tout la tranquillité de la commune.
2) soit on considère – comme l’affirme le maire dans son arrêté – que ce site est effectivement dangereux. Mais alors on comprend mal que le parquet, à l’initiative des poursuites contre le père de Matthieu, laisse le maire de Saint-Leu hors de cause :
alors même qu’il a commis plusieurs fautes dans l’exercice de ses pouvoirs de police. Notamment en n’identifiant pas plus tôt le site comme dangereux et en ne le signalant pas comme tel, alors qu’en sus il en était parfaitement informé puisqu’un autre accident était déjà survenu 15 jours plus tôt à la Pointe au Sel.
alors qu’il pourrait aussi fort bien, par la même occasion, s’être rendu coupable d’homicide involontaire par « manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement », un délit puni de trois ans de prison et de 45000 euros d’amende (art. 221-6 du code pénal). On ne rappellera jamais assez en effet l’article 121-3 du code pénal :
« (…) Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait. (…) ».

Qu’on ne s’y trompe pas : la judiciarisation croissante « made in USA » de notre société, conséquence de l’assistanat qui gangrène nos mentalités, est bien à mon sens une aberration.
En matière de baignade et d’activités nautiques, je reste un fervent partisan de la responsabilisation de chacun et de la pratique aux risques et périls des individus, seul moyen à mon sens de préserver le libre accès à la mer (pourtant garanti en théorie par la loi littoral).
Simplement j’estime que si Justice doit passer, elle doit passer pour tous…

Didier Dérand, président de l’association VAGUES

 

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