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NRL : Entre admiration et aversion …

Ingénieur du BTP à la retraite et membre d’une association agréée au titre de la protection de la nature je suis spectateur, comme beaucoup,  de l’avancée  du chantier de la nouvelle route du littoral.  A chaque fois que j’emprunte l’actuelle route, je ne peux m’empêcher  de voir mes pensées rebondir entre deux tendances opposées : […]

Ecrit par Jean Claude Martigné , Saint Paul – le jeudi 08 juin 2017 à 15H04

Ingénieur du BTP à la retraite et membre d’une association agréée au titre de la protection de la nature je suis spectateur, comme beaucoup,  de l’avancée  du chantier de la nouvelle route du littoral. 
A chaque fois que j’emprunte l’actuelle route, je ne peux m’empêcher  de voir mes pensées rebondir entre deux tendances opposées : d’un côté une réelle admiration pour le chantier tel qu’il avance dans sa version « viaduc » et de l’autre, une aversion forte pour ce qu’il va représenter dans sa version « digue » entre la Grande Chaloupe et La Possession.
 
L’admiration touche en particulier l’ancien ingénieur que je suis.  Elle se nourrit des aspects technique et esthétique de l’ouvrage qui progresse actuellement en mer .
De loin, sur le plan esthétique, avec les premières piles et travées en place, on distingue déjà l’allure générale : un bel élancement dans les travées reposant sur des piles au design simple et rassurant.

Pour mettre en place ces éléments, les outils utilisés s’avèrent eux aussi exceptionnels. Le plus impressionnant, c’est bien sûr la barge Zourite avec des dimensions dignes d’un terrain de foot ! A la fois engin de transport et de levage, elle permet de poser sur le fond l’embase de la pile qui avoisine les 5200 t !
 
Tout cela, c’est ce qu’on voit depuis la route actuelle, cependant, il y a d’autres aspects moins visibles, mais tout aussi importants comme la préfabrication des voussoirs et des blocs de protection contre la houle. Ces éléments sont réalisés dans de véritables usines .
 
Enfin un travail qui apparait encore moins mais qui est aussi la clef d’un chantier, c’est l’organisation. Il a fallu en amont concevoir l’ouvrage en cohérence avec les outils de construction envisagés, définir et faire fabriquer le Zourite ou l’usine de préfabrication par exemple , anticiper la demande en ciment et en roches (là il y a tout de même un bémol !) et mettre en place toutes les équipes depuis les scaphandriers jusqu’aux grutiers …
 
En définitive, il s’agit d’un véritable défi tant sur le plan technique que méthodologique dont on n’a pas nécessairement conscience lorsqu’on croise ce chantier depuis l’actuelle route du littoral.
Voilà pour le côté admiratif  !
 
 
Cependant, mon investissement dans la défense de l’environnement et le souci  de ne pas pénaliser nos descendants, me ramènent vers des critiques déjà formulées dans l’enquête d’utilité publique . Déçu après l’abandon du Tram train, mais pragmatique,  j’avais émis des réserves sur la solution NRL .

Tout d’abord sur l’aspect non abouti de la liaison NRL-Barachois à  Saint Denis où il reste encore bien des questions en suspens quant aux financements et à la manière de mener ces travaux en milieu urbain… 
Puis sur l’impact environnemental, particulièrement lié à l’implantation d’une digue entre la Grande Chaloupe et La Possession. Sur ce dernier point, des experts indépendants avaient noté l’insuffisance des études . 
Dans ce contexte, le Conseil National de la Protection de la Nature, avait donné au niveau ministériel , son « feu vert » … mais uniquement pour la version « viaduc » entre la Grande Chaloupe et Saint-Denis.
 
Ce qui heurte  ma sensibilité environnementale, c’est l’énorme quantité de matériaux à extraire en milieu terrestre  , soit environ 10 millions de m3 ! 
Pour donner une idée du volume, 4 millions de m3 avaient été retirés lors du creusement du Port Est ,  mis en dépôt , ils formaient les deux énormes buttes visibles depuis la RN1 et qui ont depuis été utilisés comme matériaux de construction .
Ce volume de 10 millions de m3 , c’est 10 fois plus que les besoins nécessaires à la construction du viaduc (1 million de m3) entre Saint Denis et la Grande Chaloupe.

L’extraction prévue représente des impacts considérables mais aussi beaucoup d’incertitudes en termes de carrières à exploiter , des points suffisamment repris dans divers articles depuis plusieurs mois maintenant (Bois Blanc , Latanniers …)
Il faut aussi ajouter les impacts liés à la mobilisation de ces matériaux. Transporter ces 10 millions de m3 nécessite environ 500 000 rotations de camions, soit entre 400 et 500 rotations par jour pendant 4 ans , avec des conséquences majeures sur la circulation, peut-être sur la santé  et surtout sur la production de gaz à effet de serre (environ 180 000 tonnes pour une carrière située à 50km) responsables du réchauffement atmosphérique global. 

Conséquences maintenant sur le milieu marin : la digue envisagée nécessite la mise en place en mer d’un remblai de matériaux divers, sur une grande épaisseur et sur plusieurs centaines de milliers de m2. 
Si un viaduc, par les espaces libres entre ses piles, conserve les biotopes présents, le remblai, par son recouvrement, les perd irrémédiablement , et il conduit à la disparition des substrats durs affleurant entre les surfaces sableuses. Or ces zones de roches dures qui vont au-delà du pied de la route actuelle permettent d’assurer une continuité dans le peuplement  aquatique entre zones nord et nord-ouest de l’île, depuis des millénaires.  
Autre  crainte : l’avancée en mer d’une ligne artificielle de rivage modifie la mobilité des sédiments marins à son contact. Il est bien prévu d’y répondre … mais au coup par coup … Comment ? A quel prix ? Avec quelle réussite ? Bien des questions restent toujours posées et sans réponses…
Alors aujourd’hui, à la lumière des alourdissements financiers qui se dévoilent et des menaces qu’elles font courir en termes d’endettement pour la population réunionnaise, une question est de plus en plus souvent posée. Qu’attend la gouvernance régionale pour revenir au « tout viaduc » : une technique plus fiable, remarquable et pouvant assurer une continuité dans l’avancement du chantier ?…
 
Le « tout viaduc » résoudrait une grande partie des problèmes sur l’approvisionnement en roches et serait beaucoup moins impactant en terme d’environnement. De plus il apparait certainement plus en mesures de réduire, voire d’éviter à l’avenir, les conséquences non maîtrisées de la version « digue » sur les fonds marins.
Au départ, ce choix de digue était dicté par des considérations financières et des retombées en terme d’emploi , à savoir favoriser les entreprises locales (en fait surtout les transporteurs), sachant que la haute technicité du viaduc échapperait aux entreprises de BTP locales. 
Mais, des aléas, des contraintes se sont révélés avec le temps : des matériaux non disponibles, des retards liés aux défauts d’anticipation, des pressions de certains intervenants, des recours juridiques…  Tous ces facteurs ont entrainé une augmentation des coûts dont la justification, selon les médias, s’avère difficile et peu transparente.
 
N’y aurait-il pas là une occasion à saisir pour revenir à une solution moins contestée et qui fait déjà ses preuves : le viaduc sur la totalité de la NRL ?

 

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