Jean Cédric K., 31 ans, 19 fois condamné, est du style à nier contre toute évidence. Lu envale in mimitte ; la queue i dépasse encore ; mais lu dit : « Non, moin la pas mangé ! »
Et si vous avez le culot de ne pas croire en sa bonne foi, il vous insulte, ainsi qu’en ont fait l’expérience ce matin la présidente Corinne Peinaud et la substitut Chloé Tanguy.
Un cutter « po fé la loi »
Encadré par ses dalons habituels, les gendarmes, Jean Cédric arrive à la barre vêtu d’un ensemble jogging de grande marque et des baskets de la même farine. Comment s’est-il payé ça, lui qui est plus souvent dedans que dehors, voilà qui relève des Mystères d’Eleusis.
Le 20 septembre dernier, à Saint-Louis, il arrive dans un snack du quartier de La Chapelle, avec son habituel copain de turpitudes, Kéni G. Les deux sont pleins comme des outres de caravanier. La gérante du snack refuse logiquement de les servir, ce en quoi elle ne fait qu’appliquer la loi. Mais nos deux abrutis ne l’entendent pas de cette oreille et flanquent un souk pas possible dans l’établissement, renversant tout, cassant pas mal de choses et usant d’un cutter « pour faire la loi ». Il y aura des blessés par coupures et des contusions diverses.
Minables : ils volent du bourbognac !
Lorsque les choses ne tournent plus à leur avantage, ils prennent la poudre d’escampette en tentant malgré tout d’emporter du butin. Ils volent donc des bouteilles de bourbognac et le Kéni-au-front-bas tente de taxer le sac-à-main de la tenancière.
A la gendarmerie, lors d’un « tapissage » (reconnaissance des coupables sur un échantillonnage de photos), la victime désigne parfaitement ses agresseurs. Ce qui, à la barre, déclenche la colère du coupable.
« Elle i conné pas moin, elle ! I Elle i dit nous lété là à 6 ? Qui la vu ? »
Les clients bousculés ? Les tables et chaises renversées ?
« La pas moin ça. Moin té pas là ». Même version de la part des deux compères.
Re-Peinaud, re-expulsion…
C’est alors que l’audience s’anime. En mal.
Jean Cédric, seul protagoniste présent (forcément, on l’a tiré de sa douillette cellule de Cayenne !) interrompt la présidente qui ne parvient pas à lui expliquer qu’il aura droit à la parole plus tard. En désespoir de cause, Corrinne Peinaud se résoud à l’expulser pour que l’audience se poursuive dans la sérénité.
Las ! Un des potes du minable caïd, venu soutenir son ami en délinquance, donne de la voix dans les bancs du public. Re-Peinaud, re-expulsion. On continue…
Témoignages et certificats médicaux sont impitoyables : ces deux-là sont mouillés jusqu’à l’omoplate inclusivement.
Le CV de Jean Cédric déborde. L’homme a commencé à remplir sa liste de condamnations depuis son plus jeune âge, au Tribunal pour enfants. 19 condamnations (20 depuis ce matin) : même s’il s’époumone dans les « Moin na rien à foute, moin » et autres « Allez fé bourre zot momon ! », il ne peut nier les 19 condamnations antérieures dont la plupart pour vols avec violences et avec armes diverses.
« Moin té pas là ! »
Il est actuellement détenu jusqu’en novembre 2017 et ne comprend pas pourquoi on veut l’encabaner un peu plus. Je suggère qu’on lui expédie un psy qui tentera de le lui expliquer mais c’est mission impossible : il n’admet qu’une explication, la sienne, « Moin té pas là ! »
La substitut Tanguy a rappelé le nombre invraisemblable de condamnations, le nombre de récidives, le fait que les accusés nient malgré les preuves et la violence habituelle des prévenus. A noter que pendant son réquisitoire, l’accusé, très intéressé par son propre sort, relaçait ses baskets de prix. Vachement concerné.
Notant que les accusés (dont le Kéni, absent, très courageux, le mec !) n’avaient pas le courage de leurs actes, la substitut a demandé contre ces minables faux caïds, des peines de prison ferme.
Saint-Louis ville sans loi ?
Invité à commenter les réquisitions du substitut, Jean Cédric s’est d’abord retourné vers la salle, comme pour prendre à témoins les 12 fronts bas venus l’encourager. Puis :
« Son concubin la reconnu à moin ? Mi conné à lu depu lu té mette encore d’couches ! Akoz lu lé pas là ? »
Akoz ? Parce que depuis, le compagnon de la gérante, choqué, découragé, ne travaille plus à Saint-Louis, devenue ville sans loi. Le snack bossait avant très dur, jusqu’à minuit parfois. Depuis l’agression, le snack ferme à 17 heures : c’est « ça » Saint-Louis, au jour où je vous parle. Joli, non ?
Petit détail : le compagnon de la gérante s’est fait voler sa voiture, après agression violente, il n’y a guère.
« Allez mange la taille ! » (sic !)
Lorsque la présidente Peinaud lui a annoncé les condamnations, 18 mois fermes pour lui, 6 mois fermes pour son dalon, le Kéni, qui en outre, voit tomber un sursis antérieur, Jean Cédric n’a eu que ce commentaire :
« Allez mange la taille ! » (sic !)
« A 10 grammes près… «
Je ne voulais pas finir sur une note trop pessimiste. Aussi vais-je vous livrer une saillie de Me Albon, défenseur d’un petit délinquant surpris avec 10 gr de zamal en poche. Une affaire à mettre de côté très vite puisque je suis pour qu’on foute la paix aux fumeurs d’herbe bleue.
Dans la salle-des-pas-perdus, Me Albon nous confiait son système de défense :
« Je vais dire à la présidente : Madame, à 10 grammes près, il n’avait rien dans sa poche ».
Je n’ai pu assister à la séance mais tel que je connais ce diable d’homme, je suis sûr et certain qu’il l’a dit.