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Madagascar Résistance : La non violence pour défendre la légalité : la voie étroite choisie par les légalistes malgaches

Malgré l’indignation légitime face au putsch qui a forcé un président élu à l’exil, face à la suspension du parlement composé d’élus, face à la suppression de la liberté de manifester, face à la fermeture des médias neutres ou d’opposition, face à l’emprisonnement des opposants, face aux actes de violence et d’intimidation, les légalistes malgaches […]

Ecrit par zinfos974 – le jeudi 10 mars 2011 à 17H21

Malgré l’indignation légitime face au putsch qui a forcé un président élu à l’exil, face à la suspension du parlement composé d’élus, face à la suppression de la liberté de manifester, face à la fermeture des médias neutres ou d’opposition, face à l’emprisonnement des opposants, face aux actes de violence et d’intimidation, les légalistes malgaches maintiennent le choix de la lutte non violente qui a été le leur jusqu’ici. Pour deux raisons : la première morale, la seconde politique.

Garder une supériorité morale

Les combats victorieux pour la liberté et la démocratie de 1972, 1991 et 2002 amènent à faire deux constats essentiels : les Malgaches répugnent à verser le sang, mais ils sont par contre capables d’une détermination et d’une endurance admirables dans leur opposition non violente à un régime autoritaire.
Ceux qui ont pris la peine de se mêler aux centaines de milliers de manifestants pacifiques le jour de la grande marche sur le siège du gouvernement en mai 1972, ou durant les six mois de lutte citoyenne sur la Place du 13 mai en 1991, ou encore lorsque en 2002 jusqu’à neuf cent mille personnes se trouvèrent rassemblées sur cette même place ainsi que dans l’avenue y menant, ceux-là savent une chose : les modestes citoyens de base malgache (contrairement aux nantis plus soucieux de protéger leurs privilèges) sont capables d’un immense courage et d’accepter tous les sacrifices pour défendre ce
qu’ils croient être juste.

Ils opposent alors aux armes une force tranquille inébranlable, nourrie par la fraternité, par le sens du partage et par une obstination sans pareille dans la poursuite du but à atteindre.
Cette patience dans l’épreuve trouve sa source dans la mentalité collective des Malgaches, mentalité concrétisée par leur attachement au fihavanana (Concept relationnel régissant la vie en société et visant le maintien de relations harmonieuses).
La préférence donnée à la lutte non violente, pourtant bien plus difficile et plus éprouvante, trouve ainsi sa récompense dans une victoire sans remords, qui laisse également la possibilité de renouer les fils momentanément rompus du fihavanana auquel nul Malgache ne veut et ne peut renoncer.
Il est vrai que cette fois-ci, le contexte est différent : pour la première fois en effet, un coup d’Etat a été perpétré à Madagascar, avec toutes les dérives inévitables que cela entraîne.
Persister dans l’opposition non violente face à un pouvoir illégal né de la violence et qui ne peut se maintenir que par la violence est bien plus difficile, car un tel pouvoir ne se soucie pas de maintenir ne fût-ce qu’une apparence de démocratie.
Et cependant, il était indispensable de sauvegarder la supériorité morale que confère la non violence, car cette supériorité morale est exigée par le fihavanana, cette spécificité de la culture traditionnelle dont peuvent s’honorer à juste titre les Malgaches. La plus grande marque de patriotisme que les légalistes pouvaient ainsi donner à la Grande Ile en ces temps difficiles, était donc de protéger cette spécificité culturelle, véritable pilier de l’organisation sociale malgache, menacée depuis deux ans par les abus et les provocations du pouvoir putschiste.

La non-violence est une politique plus payante à terme

Comme nous l’avons écrit à maintes reprises dans plusieurs de nos numéros, il sera mis fin, tôt ou tard à ce régime illégal et illégitime.
Or, l’héritage à gérer par les dirigeants démocratiquement élus est toujours lourd après une dictature : économie détériorée, explosion du chômage qui en découle, corruption généralisée, perversion du système judiciaire, insécurité du fait de la dispersion des armes, attente de solutions miracles de la part de la population réduite à l’état de survie.
Répondre par la violence à la violence ne pourrait qu’alourdir encore le passif à gérer après le retour de la légalité républicaine.
Seuls les assoiffés de pouvoir sans foi ni loi envisagent sans crainte de gérer un pays dévasté par la violence, leur unique préoccupation étant l’enrichissement personnel et non le mieux-être de la population.
A l’opposé, le choix de la lutte non violente permet, en prenant sur soi et en maîtrisant le désir naturel de rendre les coups, de ne pas engager le pays dans le cycle infernal d’affrontements pouvant entraîner une guerre civile, la pire chose qui puisse arriver à un pays et à son peuple.
Voilà pourquoi, en plus des considérations morales exposées plus haut, le choix de la non violence est une politique plus responsable, plus soucieuse du futur, qui sera plus payante lorsque le moment sera venu pour des dirigeants légalement et légitimement élus, de gérer l’Etat.

Tout faire pour éviter d’alourdir le passif laissé par les dictateurs, tout en ne cédant pas sur les principes essentiels touchant la démocratie et le droit à la liberté : c’est la voie étroite que persistent à emprunter depuis deux ans les légalistes malgaches, suivant en cela l’exemple donné par leurs prédécesseurs en 1972, 1991 et 2002.
Une limite est toutefois posée à cette volonté de réclamer sans violence le rétablissement de la légalité républicaine et des libertés fondamentales : c’est la possibilité de manifester pacifiquement afin de montrer aux chancelleries présentes à Madagascar et au monde la force de l’opposition au coup d’Etat.
Or, tous les lieux publics, à Antananarivo comme en province, sont interdits aux légalistes.
A chaque démonstration réussie de leur capacité de mobilisation, des leaders légalistes sont emprisonnés et la répression renforcée. Il en fut ainsi après la seule fois où, voici quelques mois, les légalistes avaient pu obtenir l’autorisation de tenir un meeting au stade Malacam à Antananarivo : cette manifestation fut suivie de l’arrestation de trois leaders légalistes, dont le chef de leur délégation dans les négociations engagées sous les auspices de la SADC. Depuis lors, les légalistes sont de nouveau confinés dans l’espace privé très restreint du MAGRO de Behoririka, celui du MAGRO d’Ankorondrano,
un peu plus large, leur ayant été aussi interdit.
Il en est de nouveau ainsi actuellement : des centaines de milliers de légalistes n’ayant pu être empêchés de se rassembler le 19 février dernier devant l’aéroport international d’Ivato et le long de la route reliant l’aéroport à la capitale, à l’annonce du retour au pays du citoyen Marc Ravalomanana (qui fut empêché d’embarquer à Johannesburg suite à un NOTAM émis par le pouvoir putschiste), un attentat contre Andry Rajoelina (dont le seul résultat a été un pneu crevé du véhicule qui le transportait) survient très opportunément. Afin de permettre sans doute de durcir encore plus la répression et de procéder à d’autres arrestations.
Cette recette consistant à accuser les légalistes d’actes de violence montés de toutes pièces a été aussi utilisée par le pouvoir illégal chaque fois qu’une solution négociée était en vue dans les négociations, plusieurs fois interrompues sous la pression des faucons du camp putschiste, mais reprises grâce à la bonne volonté des légalistes et à l’endurance des médiateurs.
Aussi, si les emprisonnements de leaders légalistes devaient se poursuivre ; si les rares journalistes ayant encore le courage de faire leur métier devaient encore être arrêtés ; si tout rassemblement pacifique devait rester interdit aux opposants, alors le choix qui restera aux patriotes malgaches sera celui-ci : se résigner à voir Madagascar dirigée par les marionnettes de la Françafrique pour une période indéterminée, ou se lever en masse pour arracher leur départ.
Car ceux qui font une analyse superficielle des crises politiques à répétition qui secouent Madagascar à chaque décennie et les condamnent au nom de la nécessaire stabilité politique plus favorable, selon eux, au développement économique se trompent. Une autre lecture doit en être faite : Ces révoltes citoyennes cycliques expriment, non pas un manque de maturité politique, mais le refus obstiné des Malgaches d’être privés de liberté. Ce qui est un signe de maturité politique et civique.
Certes, des déceptions, il y en eut forcément et il y en aura encore. Elles sont le lot inévitable de la longue marche vers la démocratie sur un chemin semé d’obstacles d’origine à la fois interne et externe.
Ces obstacles sont liés à l’étendue et à la géographie du pays qui favorisent l’existence de nombreuses régions enclavées, aux mauvaises pratiques des politiciens, à la pauvreté endémique entretenue par la mauvaise gouvernance, mais entretenue aussi par les diktats des institutions internationales et par l’ancienne puissance coloniale prête à tout pour défendre les intérêts de ses entreprises.
Ce qui est admirable, c’est la capacité des citoyens malgaches à repartir au combat, malgré les déceptions qui ont suivi chaque victoire.
C’est qu’ils ont noté que, si toutes leurs attentes n’ont pas été remplies, un pas a été à fait dans la bonne direction chaque fois qu’ils ont vaincu.
Un tel attachement à la liberté, une telle répugnance à verser le sang, une telle endurance dans
l’épreuve, attestée par l’importance actuelle de la mobilisation anti-putschiste, deux ans après le coup
d’Etat, voilà qui ne peut pas venir d’un peuple sans qualités.
Oui, malgré les épreuves traversées, ce peuple prendra un jour son destin en main et sa place dans le
monde. Pacifiquement, comme ses traditions le demandent, et comme il l’a fait jusqu’ici. En exprimant sa colère, si on l’y contraint.

Les Inconditionnels de Madagascar,
À l’Ile de la Réunion

 

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