Notre confrère Fabrice Acquilina du journal mauricien L’Expresse Dimanche a recueilli les confidences de Renaud Van Ruymbeke, le célèbre juge d’instruction au pôle financier du tribunal de grande instance de Paris. Dans un article intitulé Renaud Van Ruymbeke, juge financier à Paris, Maurice apparaît de plus en plus souvent dans des affaires de corruption internationale, il publie les propos du plus célèbre juge français qui n’hésite pas à qualifier l’ile Maurice de « trou noir de la finance » et de « paradis bancaire et judiciaire« . « Maurice protége les titulaires de comptes bancaires et assure leur anonymat, même face à des investigations judiciaires« , affirme même le magistrat.
Nous vous proposons ci-dessous quelques passages clés de l’interview.
(…) Dans la presse française, vous dénoncez le « défaut total de coopération judiciaire » de l’île Maurice en matière de corruption internationale. Sur quel fait repose cette accusation?
Il s’agit d’un constat fondé sur ma propre expérience.
Pour vous donner un exemple, début 2007, dans une affaire de corruption internationale que je ne peux pas citer, j’ai adressé une demande d’assistance aux autorités mauriciennes, laquelle a été transmise par le ministère de la Justice en France.
Or, je n’ai reçu aucune réponse depuis deux ans.
Les contacts que les policiers français ont essayé d’établir avec les autorités mauriciennes sont toujours restés vains. La meilleure façon de ne pas coopérer, c’est de ne pas répondre !
Qu’entendez- vous par « coopérer » ?
Le problème est simple. Dans les affaires de blanchiment que nous instruisons au pôle financier, l’argent passe très vite d’une place financière à l’autre.
En 24 heures, les fonds peuvent faire plusieurs fois le tour du monde. Notre travail consiste à reconstruire ce circuit. Pour cela, nous nous adressons aux magistrats ou aux procureurs des pays concernés et sollicitons leur coopération. Ce travail prend des années ! Prenons un cas d’école : l’argent se trouve en Suisse au départ, puis il est envoyé au Luxembourg, transite dans une banque aux Bahamas, puis dans une autre à Maurice.
L’enquête commence en Suisse, où le juge cherche à obtenir des renseignements bancaires, ce qui peut prendre de six mois à un an. Ensuite, il s’adresse au Luxembourg, puis aux Bahamas, et, deux ou trois ans plus tard, il sollicite enfin les autorités mauriciennes, parce qu’il a identifié dans ce pays un compte destinataire.
Et là, il perd la trace des fonds.
Vous voulez dire que l’enquête s’arrête ?
Absolument, l’enquête se trouve alors dans l’impasse.
Il devient impossible de déterminer la destination finale des fonds. Dans un circuit de blanchiment, il suffit qu’une des places où l’argent transite ne coopére pas, et c’est toute l’enquête qui est mise en échec. Nous nous heurtons au même type de difficulté à Singapour, par exemple.
Soupçonnez- vous Maurice d’abriter l’argent de parrains de la drogue, de terroristes ou de mafieux?
Je l’ignore, car je ne dispose d’aucune information à cet égard. Ce qui apparaît, c’est un défaut de coopération de l’île Maurice en matière judiciaire. Les juges rencontrent le même type de difficulté avec les paradis fiscaux qui blanchissent l’argent de la drogue et des mafias.
L’île Maurice privilégie l’opacité à la transparence, et le secret bancaire l’emporte sur la curiosité des juges chargés d’enquêtes pénales internationales.
Ce n’est peut- être pas tout à fait un hasard si Maurice apparaît de plus en plus souvent dans des affaires de corruption internationale, c’est un constat que nous avons fait au pôle financier. Maurice est une place financière de plus en plus prisée par ceux qui veulent blanchir de l’argent.
Est- ce à dire que Maurice devient un trou noir de la finance ?
Oui, dans la mesure où ce pays est un paradis bancaire et judiciaire. Maurice protège les titulaires de comptes bancaires et assure leur anonymat, même face à des investigations judiciaires.
Pourtant, la Financial Services Commission affirme n’avoir jamais reçu de demande d’information de votre part.
Ce qui pose la question du cheminement des demandes d’entraide. Dans le cas de Maurice, les juges du pôle financier n’ont d’autre solution que d’adresser leurs demandes au ministère de la Justice français, qui les transmet à son tour à Maurice par la voie diplomatique. Cela prend beaucoup de temps, les juges ignorent ce qui se passe, a fortiori lorsqu’ils n’ont pas de réponse.
Avec d’autres pays qui ont signé des conventions facilitant la coopération judiciaire internationale, cela fonctionne bien : ces conventions permettent aux juges et aux enquêteurs de nouer des contacts directs entre eux.
Concrètement, quel progrès attendez-vous de Maurice ?
Tout simplement la mise en place de structures permettant d’assurer une coopération effective dans les enquêtes judiciaires pénales lorsque les autorités mauriciennes sont sollicitées. Il est également nécessaire, dans ce type d’enquête, de lever le secret bancaire, même si la banque ou le titulaire du compte s’y oppose. Il existe manifestement aujourd’hui une prise de conscience internationale qui devrait faire évoluer la situation.
(…)
Maurice privilégie l’opacité à la transparence, le secret bancaire l’emporte sur la curiosité des juges.