L’inquiétude sur la fin des quotas sucriers accompagne l’actualité des élections européennes. Si le dernier mot revient en effet à l’Union européenne, les planteurs attendent désespérément un signal de soutien de l’Etat. Le « deux poids cinq mesures » en faveur de la banane antillaise laisse désabusés les planteurs.
Parmi eux, un professionnel de l’Ouest, Clarel Coindin-Virama. Le 3e vice-président de la Chambre d’agriculture livre sans détour qu’il faudra compter sur l’ensemble de la profession pour remuer ciel et terre d’ici cette échéance. Si la fin des quotas, qui garantit jusqu’en octobre 2017 la protection du prix de la tonne, est un fait acquis en vertu du principe de libre-concurrence, la profession réclame une compensation de l’Etat pour pérenniser le modèle agricole réunionnais dont la canne « façonne les paysages ».
Cible des critiques sur son caractère ultra-subventionné, la filière est pourtant défendue bec et ongle par ses petites mains. « Tous les secteurs sont subventionnés. Un fonctionnaire est lui aussi subventionné d’une certaine manière », lance-t-il à l’adresse de ce qu’il considère comme un mauvais procès fait à la canne. Il s’appuie pour cela sur des chiffres qu’il répète à l’envi. « Sur la période 2007-2013, l’Europe a octroyé 1,9 milliard d’euros de subventions à La Réunion. Seuls 223 millions sont effectivement revenus en aides à la filière agricole. Où sont passés les autres millions ? Dans d’autres secteurs. On n’en parle pas de ça », claironne-t-il.
Pour leur défense, les planteurs alignent les constats. La Réunion produit chaque saison de coupe en moyenne 205.000 tonnes de sucre. Derrière ce chiffre, il faut aussi y voir la subsistance de 12.000 emplois directs et 24.000 indirects. Cela représente 14% des emplois du secteur privé, 10% de l’effectif de l’emploi à la Réunion.
Le sucre, matière noble, n’est pas la panacée. Les co-produits de la canne sont nombreux, à commencer par « la bagasse à partir de laquelle on produit de l’électricité. Ces cendres sont utilisées en mandement pour les sols. Même destination pour l’écume, résidu organique du process des usines sucrières. De la mélasse on produit du rhum et de l’aliment pour bétail. Enfin, de la paille de canne, nous l’utilisons pour de la protection des sols, de la litière pour animaux ou pour son alimentation », fait-il valoir. Moins chiffrable mais tout aussi important, la culture de la canne vient limiter l’érosion des sols et a pour effet bénéfique d’absorber 100% des rejets de CO2 automobiles du département.
Clarel Coindin-Virama compare sans difficulté ce qu’il appelle ironiquement le « deux poids cinq mesures » accordé à la filière de production de bananes dans les autres DOM. « Les Antillais se sont battus et ils ont obtenu gain de cause quand Victorin Lurel était encore ministre et sans que nous en soyons informés ». A l’inverse, l’agriculteur estime qu’ici, la question de la fin des quotas n’est pas défendue comme elle devrait l’être. « Plein de gens, y compris les politiques, n’en ont pas conscience ».
« Ça va mal finir »
« Si aujourd’hui l’Etat ne nous garantit pas de compensation, on est en danger et la Réunion aussi car la canne est le pilier de l’agriculture réunionnaise », assure le vice-président de la Chambre d’agriculture. A titre d’exemple, pour un échantillonnage de 13,8 de richesse, un planteur peut espérer aujourd’hui 39 euros pour une tonne livrée. S’ajoute à cette partie production 15 euros pour les sous-produits de la canne et environ 23 euros pour les subventions de tous ordres (comme l’aide à la mécanisation, l’épierrage,…).
Or, avec l’augmentation du prix des intrants, du cours du carburant, « il y a des gars qui sur 10 hectares et pour environ 1.000 tonnes produites n’arrivent même pas à toucher le smic », déplore-t-il.
Un dernier exemple tout récent fait bondir le 3e vice-président de la Chambre verte. Sur la période 2014-2020, l’enveloppe européenne dédiée à l’agriculture augmente de 17%. La contrepartie nationale à cette augmentation aurait dû déboucher sur une augmentation identique mais c’est une baisse de 35% qui est programmée « au niveau national », preuve selon lui que la volonté du gouvernement fait défaut.
Pour Clarel Coindin-Virama, ce manque d’engagement fera « couler toutes les filières agricoles. Ça tuera l’agriculture réunionnaise« .
Ce repli est d’autant plus incompréhensible que la profession est dans la capacité d’étendre son périmètre. La canne occupe aujourd’hui 24.000 hectares. La récupération de 7.000 hectares en friche doit permettre d’atteindre l’objectif d’autosuffisance alimentaire en fruits et légumes de l’île. Sur ces 7.000 ha, 2.000 sont dévolus aux fruits et légumes. « Qu’allons-nous faire des 5.000 restants ? », demande le planteur, dans l’attente d’un signe fort de l’Etat.
« Ça va mal finir. Nous avons été très gentils jusqu’à maintenant », lance-t-il en guise de message subliminal sur la mobilisation potentielle des 3.500 planteurs du département.