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La modernisation des exploitations laitières profite-t-elle à l’éleveur ?

Les éleveurs laitiers de La Réunion sont toujours aussi divisés sur les orientations données à la filière. L’ADEFAR, l'Association de défense des agriculteurs réunionnais, nous fait parvenir un droit de réponse qui fait suite à la présentation, la semaine dernière dans la presse, d'une exploitation ultra moderne bénéficiant à un couple d'agriculteurs de la Plaine des Palmistes. S'ils se disent favorables à une modernisation de leur outil de travail, les adhérents de l'ADEFAR, dont certains ont fini ruinés après des années dans l'élevage, craignent que les orientations de la Sicalait ne produisent les mêmes effets chez ces éleveurs laitiers qui se modernisent mais qui s'endettent aussi… A qui profitera réellement cette modernisation ? Voici l'intégralité du droit de réponse de l'ADEFAR :

Ecrit par zinfos974 – le mardi 21 octobre 2014 à 07H35

Le 16 octobre 2014, la Sicalait fait paraître dans le Journal de l’Ile et le Quotidien, « l’étable-vitrine de Daniel Bègue » et « portes ouvertes sur la rolls de l’élevage péi ». Nous souhaitons y apporter notre droit de réponse.

Tout d’abord l’ADEFAR est heureuse que Mr Daniel Bègue ait pu réaliser un tel investissement, rêve de toute une vie d’éleveur, et tient à le féliciter pour sa persévérance et son opiniâtreté.

Mais l’ADEFAR tient aussi à relever les incohérences et invraisemblances des propos de Mr le Président et Mr le Directeur de la Sicalait. Ils souhaitent que les éleveurs deviennent de « véritables chefs d’entreprises » et font la promotion d’une étable outillée avec un ordinateur distributeur d’aliments, une machine à traire, des logettes, et un racleur automatique.

Or, la DAAF (direction des affaires agricoles), dans sa présentation sur l’élevage à la Réunion, au paragraphe filière laitière, souligne que celle-ci parait fragile du fait de « la faible disponibilité du foncier », rappelle que « la structure des exploitations conduit à des choix d’exploitation intensive beaucoup plus fragile sur le plan économique et sanitaire et qui commencent à poser des problèmes d’environnement. Enfin, que « les coûts d’investissements sont élevés et génèrent des charges de structure importantes. »

Donc Mr le Président en vendant une « rolls » à cet éleveur, vous l’avez fragilisé davantage car vous avez favorisé l’augmentation de ses investissements et donc de ses remboursements mensuels, sans garantie de ressources. Et en ne traitant pas l’aspect sanitaire de son cheptel, vous lui faites prendre plus de risques. Or, vous devez savoir en tant que président de la Sicalait, que les experts Coustel et Ménard dans leur « rapport sur la filière lait à la Réunion » d’avril 2008 commandé par Mr Le Préfet de la Réunion, signalaient dans leur synthèse que « le dysfonctionnement constaté provient à notre avis principalement des ambiguïtés qui existent sur le modèle de développement laitier et sa traduction en matière des structures d’exploitation. »

Cette appréciation est renforcée dans les recommandations à Mr Le Préfet de la Réunion : « lever les ambiguïtés sur le modèle de développement laitier réunionnais dans le cadre d’une démarche de réflexion prospective collective sur la base d’un diagnostic partagé. » En tant que responsable de la filière lait, vous auriez pu tenir compte de cette préconisation et éviter de créer chez Mr Bègue une exploitation hyper-intensive.

L’ADEFAR a également retenu que « la mission a noté un climat de suspicion entre les institutions participant à l’accompagnement technique des éleveurs. Pris isolément, les reproches faits par les uns et les autres paraissent parfois fondés, mais seraient sans doute plus porteurs d’amélioration du service rendu à l’éleveur si les uns et les autres adoptaient une démarche positive de coopération au lieu de se renvoyer mutuellement la responsabilité des échecs. »
 
Si les institutions avaient suivi l’avis de ces experts pour aider au mieux cet éleveur, elles se seraient réunies autour de lui, et avec lui auraient décidé de l’intérêt d’investissements aussi importants qui génèrent des charges qui pourraient être insurmontables.

Vous avez vendu à Mr Daniel Bègue une « rolls-vitrine ». Pourquoi avez-vous passé sous silence ses coûts de maintenance ? L’éleveur n’ayant pas de compétence adéquate, devra faire appel à des sociétés de services spécialisées en électronique et informatique. Mr Bègue avait-il besoin d’une « rolls » ? Nous connaissons un autre Daniel Bègue, qui lui, aurait choisi un tracteur bien équipé, beaucoup moins onéreux, plus en adéquation avec ses besoins et donc plus rentable ! Oui, il y a parmi nous des chefs d’entreprises !

Vous avez vendu à Mr Daniel Bègue un projet qui nécessitera un accroissement de son cheptel sous trois mois, « d’ici au début de l’année prochaine » dans le but de produire « 300.000 litres de lait ».  Votre argumentation repose sur le montant des aides (subventions de l’Europe et du Département ). Certes, mais cet éleveur a dû faire un prêt pour le reste, même à un taux très bas, il aura augmenté ses charges de 1.600 € par mois au moins, pour ce seul investissement.

Pour accroître son cheptel (pour arriver à 42 vaches d’après vous), il devra faire de nouveaux investissements. Si nous nous basons sur la production moyenne définie par le contrôle laitier, il faudrait 47 vaches et non 42, soit 18 bêtes de plus que son cheptel actuel. Mais surtout Mr Bègue devra acheter des vaches en état de produire immédiatement les 6.495 k de lait de moyenne. Or, vous lui proposez des génisses. Comment fera t-il pour payer ses nouvelles charges ?

Fait partie de l’équipement de votre « rolls », « un ordinateur qui distribue automatiquement la ration d’aliments aux vaches équipées d’un collier individuel ». Or, il nous semble que le port de ce collier était contre indiqué par la profession. En tout cas, le rapport de Mrs Brunschwig, Lancelot, et Zanetta, chargés d’une expertise sur la mortalité des bovins laitiers à la Réunion, commandée par Mr le Préfet de la Réunion disait que :

« Sur le papier, l’augmentation de la part de concentrés dans la ration augmente toujours la marge sur coût alimentaire. Dans la réalité, les risques sanitaires sont en contrepartie nettement augmentés, même dans des conditions optimales de conduite de troupeau. »

« Parmi les pathologies digestives, l’acidose est vraisemblablement fréquente à la Réunion. Nous avons en effet constaté lors des visites d’élevages, l’usage de fortes quantités d’aliments concentrés. »

« Ces régimes sont très particuliers pour des ruminants dont le régime habituel est fondé sur une majorité de fourrages. »

La Sicalait a sûrement eu connaissance de ces remarques. Alors pourquoi continuer à conseiller aux éleveurs laitiers de donner à leurs bêtes autant de rations de concentrés, compte tenu de ces risques ? Pourquoi leur mettre un collier qui ne peut qu’inciter les bêtes à surconsommer ? Bien entendu, cette surconsommation est à la charge de l’éleveur, mais aussi les risques décrits ci-dessus, qui vont grever un peu plus son compte d’exploitation. L’ADEFAR dit oui au modernisme, à condition qu’il profite aussi à l’éleveur et pas seulement aux structures de la filière.

Vous annoncez fièrement, Mr Le Président, que « les prix du lait sont garantis à l’année, ils sont indexés sur le prix des aliments, il n’existe pas de quotas de production comme en métropole. »

Permettez-nous, encore une fois, de citer les experts Brunschwig, Lancelot, Zanella qui disent que « l’achat en grande quantité d’aliments fabriqués à partir de matières premières importées augmente la dépendance vis-à-vis du marché mondial et le risque économique pour les éleveurs et la filière, à l’heure où la volatilité caractérise les prix de ces matières premières. Cette voie ne rentre pas dans un cadre de développement durable : elle est dangereuse et fragile par nature. »

Ce que vous prétendez être une sécurité, n’est qu’une source inflationniste. Elle ne profite encore une fois qu’aux structures de la filière. La marge des éleveurs, elle, est en conséquence attaquée par les charges qui sont en progression constante.

Si ce métier, comme vous le prétendez, était si rémunérateur, pourquoi y-a-t-il autant de fermetures d’exploitations ? Suivant le PV de la Sicalait, il y avait 151 exploitations livrant du lait en 2000 et suivant le contrôle laitier, il n’en resterait que 60 en 2013 ? (à condition que tous les producteurs suivent cette obligation). Donc, soit le métier n’est pas rémunérateur, soit il y a une mortalité excessive dans les cheptels, et un vrai problème sanitaire.

Vous vous débarrassez de ce problème  en disant : « on parle sans cesse des problèmes d’un ou deux éleveurs qui ont été déboutés en justice. » Etant partie dans des expertises judiciaires, et responsables de la Sicalait vous avez connaissance des dernières conclusions de l’expert, qui démontre le non- respect des règles légales en matière sanitaire dans notre département. Au point où il se demande même si nous sommes bien un département français !
 
Quelle arrogance de la part de la Sicalait que de considérer que cet expert près les tribunaux, ait pris fait et cause pour les éleveurs ! Vous aviez par ailleurs affirmé que la Sicalait avait programmé en son temps toute une campagne de vaccination contre la leucose. Or si vous vous référez à l’article de l’OIE (l’Organisation mondiale de la santé animale) sur cette maladie, vous constaterez qu’il n’y a pas de vaccin contre la leucose. Donc, les éleveurs ont payé des vaccins qui ne servaient à rien. Ce sont toujours les mêmes qui doivent régler l’addition.

Pour votre information, Mr le Président, la Sicarévia avait trouvé le financement et avait mis en application les règles légales de lutte contre la leucose. La Sicalait a laissé les éleveurs laitiers, seuls, face aux conséquences de son laxisme.

L’ADEFAR note que d’après vous, dans le programme Pirogue, il est prévu une augmentation du foncier agricole laitier. Or, Mr le directeur de la DAAF de la Réunion, lors de la première journée de la production agricole à Petite-Ile, dans un article paru dans le JIR du 11 octobre disait que « pour les productions liées au sol, comme la production bovine, la contrainte foncière est trop prégnante pour qu’on puisse imaginer un développement plus important. »

Est-ce polémiquer que de se poser la question suivante : en qui les éleveurs de la Réunion pourraient-ils placer leur confiance ? A votre : « assez de polémique », nous répondons : « assez de mensonges ! assez de tromperies ! »

Votre article ressemble fort à une tentative de justification des aides de l’Europe et de la France, qui profitent aux structures de la filière et à quelques personnes. Les éleveurs eux, paient le prix fort. Ce n’est pas justice !

Rassurez-vous Mr le Président, nous ne voulons pas casser la filière. Nous en avons besoin ! Nous souhaitons, par contre, qu’il y ait à sa tête un collège de vrais professionnels, défendant leur métier et la rentabilité de leurs exploitations, car ils veulent vivre de leur métier et non pas d’un RSA !

 

 

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