C’est sur un rythme soutenu que se profile la visite de Pedro Solbès, « conseiller spécial auprès du Commissaire européen Michel Barnier », comme le précise sobrement le communiqué de la Préfecture. Chargé d’établir en trois mois une étude visant à nourrir la réflexion sur l’élaboration des futures politiques de l’Union, y compris la rénovation de la stratégie européenne à l’égard des régions ultrapériphériques, le conseilleur spécial est, pour quelques mois, les yeux de la Commission européenne.
Les politiques communautaires sont conçues à la base pour répondre à des préoccupations « continentales »
Son CV plaide en sa faveur. Ancien ministre de l’Économie et des Finances et second vice-président du premier gouvernement de José Luis Zapatero, ancien commissaire européen de 1999 à 2004, le « chargé de mission » ne découvre donc pas la situation particulière des régions ultrapériphériques. L’Espagne compte comme la France des régions ultrapériphériques dont l’avenir semble toujours être mis en balance.
Après des visites aux Açores, aux Canaries et à Madère, le spécialiste dresse un premier état des lieux des RUP et donc de la Réunion.
En tant que Région communautaire, la Réunion appartient par principe au marché intérieur. Pour autant, dans la réalité, elle ne participe pas pleinement à son accomplissement sur deux plans. Pedro Solbès y voit deux aspects dont les RUP semblent rester en marge. « Sur le plan politique et réglementaire, les RUP sont insuffisamment prises en compte dans la conception des politiques communautaires, conçues à la base pour répondre à des préoccupations continentales. Sur le plan économique, l’accès des entreprises, des consommateurs et des citoyens à l’ensemble du marché unique est de facto limité à cause d’une distance géographique ».
Même si ce constat a amené l’Union Européenne a apporter une solution dérogatoire pour les RUP fondée sur l’article 349 du Traité de Lisbonne, le commissaire Michel Barnier souhaite aller plus loin. Pedro Solbès le réaffirme lors du point presse : « la question fondamentale qui traverse l’analyse que j’effectue en visitant chaque RUP est d’apporter des pistes de travail pour la Commission Européenne sur la conciliation entre convergence européenne et prise d’initiative locale via notamment une intégration dans votre environnement géographique immédiat, en l’occurrence la zone océan Indien pour la Réunion ».
Concurrence entre partenaires européens ?
Exemple des bizarreries qui découle des directives européennes : le traitement des déchets. Philippe Leyssene, délégué à la coopération régionale dans la zone océan Indien, explique : « L’Union Européenne exige des pays membres qu’ils éliminent, au sein de l’UE, leurs déchets pour éviter qu’ils ne soient transportés par bateau et transformés à des milliers de kilomètres de là. Or, l’exiguïté des territoires dont nous parlons, c’est-à-dire les RUP, les contraint à expédier ces déchets vers certains pays de l’UE lorsque la filière n’existe pas sur place. Peut-être que les traiter vers des pays de la zone pourrait être une solution intermédiaire. C’est tout le sens de notre évaluation qui prévaut dans d’autres domaines », poursuit-il.
Alors que sa visite s’achève le 6 mai dans notre île, Pedro Solbès poursuivra son tour de ces territoires éloignés appartenant pourtant à l’Union Européenne. « Je dois remettre mon rapport fin juin », précise-t-il.
En établissant les recommandations pour une meilleure intégration des régions ultrapériphériques au sein du marché intérieur, tout en tenant compte de leur proximité géographique, cette étude alimentera la réflexion de la Commission sur la rénovation de la stratégie européenne à l’égard des régions ultrapériphériques. Un vaste chantier qui se concrétisera par un plan stratégique pour les RUP de 2014 à 2020. « Meilleure intégration dans le bassin économique » : la formule semble étrangement répondre en écho à ce fameux « développement endogène » voulu par l’État français. Mais sur une éventuelle mise en concurrence des aides financières énormes attribuées aux RUP vis-à-vis des autres partenaires européens de plus en plus exigeants (ouverture à l’Est), le conseiller spécial n’en dira pas un mot. Diplomatie oblige.