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La bataille des assemblées locales

Prochainement auront lieu les élections départementales anciennement appelées élections cantonales. Pour mieux comprendre les enjeux de demain, Zinfos vous propose au travers de plusieurs articles, à l'instar des dernières élections municipales, une analyse sur l'histoire de cette institution qu'est le Département. Affinez votre réflexion autour de cette élection, plongez-vous dans les périodes les plus marquantes et venez débattre tous les lundis sur Zinfos.

Ecrit par Eliard de Laleu – le lundi 09 mars 2015 à 12H23

Historiquement, La Réunion est possession française depuis les origines, mais géographiquement, elle est située à près de dix mille kilomètres des centres de décision du pouvoir central. Conséquence, comment administrer un territoire si lointain ?

Cette préoccupation parcourt toute l’histoire politique et institutionnelle de La Réunion. Et les réponses trouvées au fil des régimes et constitutions, oscillent entre régime d’exception, autonomie et assimilation, sur fonds de tensions, de conflits et d’affrontements, avec plus ou moins d’hystérie, et quelquefois même de violences, selon les périodes.

C’est cette trame qui doit être intégrée si on veut voir clair dans les débats autour du Conseil Général, institué, supprimé, rétabli, appelé à être supprimé, découpé, remplacé ou fusionné.

Sous la Révolution : Autonomie plutôt que Département

L’histoire de La Réunion (Bourbon) regorge de conflits larvés ou ouverts, opposant les colons aux représentants du pouvoir central dans l’Ile. Mais c’est sous la Révolution qu’une première réponse politique est apportée à cette situation.

Et alors qu’en France, le département est créé, dans la colonie c’est l’autonomie qui se met en place. Une autonomie qui, certes, doit prendre en compte et respecter les impératifs qu’impose l’unité nationale, mais doit surtout veiller à la défense des intérêts de l’ile et de ses habitants. L’univers colonial n’est pas l’univers métropolitain, les Hommes de La Révolution, comme les habitants de la colonie, en sont convaincus et refusent l’assimilation des colonies aux départements de métropole.

Une Assemblée Coloniale, élue, voit le jour en 1790, en charge de toutes affaires intérieures, le gouverneur restant le représentant officiel de l’Etat. C’est la première expérience de décentralisation que connait La Réunion, et sans doute la plus radicale. En 1803, Bonaparte met fin à l’Assemblée coloniale. C’en est donc fini de cette première expérience de décentralisation. La tutelle de l’Etat va être restaurée dans les années qui suivent mais la contestation des habitants n’a pas disparu pour autant et, avec elle, les velléités autonomistes.

Les Francs- Créoles : un mouvement autonomiste clandestin

Soucieux de répondre au climat détestable qui prévaut dans la colonie dans les années 1820, fait de contestations et de frondes multiples d’une population qui croule sous les difficultés, et n’en peut plus des abus de pouvoir des autorités, le gouvernement dote Bourbon d’ un Conseil Général.

Mais cette assemblée, créée en 1825, qui comprend des membres nommés, et sans pouvoir véritable, n’apaise en rien les tensions que connait Bourbon. C’est dans ce contexte qu’un mouvement autonomiste clandestin, « l’Association des Francs-Créoles » voit le jour en 1831. Implanté dans toute l’Ile, ce mouvement, dont le leader est Nicole Robinet de La Serve, met en avant   la défense de « la patrie créole » et entend, en s’appuyant sur les classes moyennes, prendre le pouvoir dans la colonie.

Un Conseil Général élu est exigé, la voie de l’intégration est rejetée et l’autonomie est réclamée. Devant cette situation inédite, le Gouverneur cherche à manœuvrer mais finit par céder craignant de voir la situation échapper à tout contrôle. Des élections sont organisées. Le 25 aout 1832 a lieu la première réunion du Conseil Général et sur 35 membres élus, 15 sont Francs-créoles. En 1833, le gouvernement supprime le Conseil Général. Il est remplacé par le Conseil Colonial qui reste une assemblée d’élus. Il demeure fondé sur une large décentralisation et légifère dans de nombreux domaines. Cette assemblée est supprimée en 1848.

Vers la départementalisation

A partir de la Deuxième République, et les Républiques successives, c’est la voie de l’assimilation qui triomphe. Elle ne procède pas que d’une volonté gouvernementale, elle est également portée à l’intérieur de la colonie par des groupes sociaux et professionnels en butte avec le carcan colonial. Ces groupes attendent de l’assimilation qu’elle permette un élargissement des droits des citoyens et l’accession aux institutions politiques et sociales de la métropole.

Le droit d’élire en 1871, conseils municipaux et Conseil Général, au suffrage universel direct, participe de cette dynamique. Quelques mesures spécifiques sont alors conférées au Conseil Général, avec un Gouverneur gardant des pouvoirs exorbitants. En 1946, avec la départementalisation, le Conseil Général de La Réunion est soumis aux mêmes règles que les Conseils Généraux de métropole. Il conserve toutefois quelques attributions spécifiques et se voit octroyer une compétence d’avis et de propositions sur les textes législatifs et réglementaires, le préfet détenant le pouvoir exécutif.

Sur ces cinquante dernières années, plusieurs moments peuvent être rappelés, faisant du statut départemental et de sa défense, l’objet d’un investissement intense, quasi sacralisé. Au point de départ de cet investissement il y a l’Association Réunion Département Français (ARDF), dont le dirigeant le plus emblématique est Albert Ramassamy.

Ce sont des manifestations imposantes qui sont organisées réunissant, en 1963 puis en 1971, des dizaines de milliers de personnes, pour combattre les thèses du Parti Communiste Réunionnais réclamant la liquidation du statut départemental, et donc du Conseil Général. Des thèses communistes dont les mots d’ordre, depuis le congrès constitutif, sont passées de la revendication « d’une Autonomie de gestion » à « un Etat autonome », puis à « un Etat autonome démocratique et populaire ». Il y a également les manifestations monstres de 1981 et 1982, toujours organisées par l’ARDF, contre  « l’Assemblée unique » et qui doit amener la disparition du Conseil Général. Un résultat qui, pour l’ARDF, aurait eu pour conséquences de faire basculer La Réunion, au mépris de la volonté de sa population, dans l’aventure institutionnelle, pour ensuite la livrer à Paul Vergès.

Plus près de nous encore, mentionnons enfin la mobilisation contre le projet de bi-départementalisation de La Réunion. Ce projet, qui aurait eu pour conséquence de doter La Réunion de deux Conseils Généraux, est revendiqué par le PCR, par des élus sudistes de Droite et la direction du PS. Combattu par une grande partie de la droite locale, menée par Jean-Paul Virapoullé, et son célèbre « coup’ pa nou », mais également une partie du Parti Socialiste, autour de Michel Vergoz, le projet n’aboutira pas.

La méconnaissance à La Réunion des questions de décentralisation et d’autonomie, qu’elles remontent aux origines de notre histoire, ou qu’il s’agisse des formes prises dans un passé plus récent, et aussi la méconnaissance générale de notre histoire et de ses dynamiques, contribuent à phagocyter les moindres tentatives de changement alors que l’Etat est engagé dans une démarche de réforme de son organisation territoriale.

 

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