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L’Ile Maurice veut conquérir la zone,…si possible avec La Réunion

Maurice est boulimique. Par la voix de son meilleur VRP économique, l’île sœur change de braquet. Une question de "survie". Dans les dix ans à venir, l’économie mauricienne se voit implantée dans la zone, y compris en Afrique. Et si possible avec La Réunion. Si notre territoire arrive à se défaire de sa pesanteur administrative. "Vous avez l’expertise, nous avons la réactivité", résume Seetanah Lutchmeenaraidoo. Le ministre des finances et du développement économique mauricien développe dans une interview les ambitions affichées de son pays. Il poursuit sa visite officielle ce mercredi.

Ecrit par LG – le mercredi 03 juin 2015 à 07H07

Vous avez voulu frapper fort en annonçant l’exemption des droits de douane pour les entreprises réunionnaises ?
Seetanah Lutchmeenaraidoo : C’est une provocation ! Je m’explique. Je fais de la coopération régionale depuis 30 ans. On avait créé avec mon vieil ami Paul Bérenger une société qui devait encourager le commerce régional. Ça n’a pas marché ! Quelqu’un nous avait dit en ces temps-là, la coopération régionale c’est pas pour demain. Il avait raison. Le temps n’était pas arrivé. 30 ans après je peux vous dire que le temps est arrivé. Tous les éléments sont en place pour l’approfondissement majeur des relations entre les îles de la région. Je parle de Madagascar, des Seychelles, de Rodrigues, de Maurice et aussi des Comores. Je vise haut. Je pense qu’on peut devenir un bloc régional d’importance. Ça implique une plateforme aérienne, maritime et une volonté politique. Et je pense que c’est là d’où est venue la surprise. Votre président du Conseil régional, et je ne parle pas politique – d’ailleurs je ne sais même pas de quel parti il est – est un fana de la coopération régionale. Et je suis content d’avoir comme interlocuteur un homme qui, non seulement est convaincu, mais est disposé à faire tout ce qu’il faut pour que la coopération entre nos îles se développe.
 
N’est-ce pas plutôt la crise financière et économique de 2008 qui a obligé les pays de la zone à s’entraider ?
Je pense que oui, mais très peu. Il y a surtout une volonté de l’Union européenne qui fait en sorte que les accords de partenariat économique (APE) soient de plus en plus concentrés au niveau régional.
 
Quel est l’objectif de votre visite ?
En venant ici, j’ai voulu provoquer un peu. Pas provoquer mais envoyer un message que je considère comme nécessaire maintenant. Il est difficile d’avancer si nous gardons nos frontières fermées. J’ai voulu envoyer un message clair : l’île Maurice est disposée à ouvrir ses frontières totalement à la coopération régionale. Une première salve a été ma décision hier (lundi) d’abolir les droits de douane pour toutes les exportations de La Réunion vers l’île Maurice. Je sais que l’octroi de mer est un incontournable. Je n’ai même pas soulevé la question lors des discussions sachant les contraintes propres à La Réunion sur l’octroi de mer. Voilà pourquoi nous travaillons pour donner carrément des subsides directs sur le fret  Maurice/Réunion à tout exportateur mauricien. J’espère que ces subsides vont permettre de compenser partiellement le poids que représente l’octroi de mer pour les exportateurs.
 
Des droits de douane en moins, ce sont des rentrées d’argent en moins pour l’Etat mauricien…
Je joue sur l’avenir. Je pense que, quelque part, quelqu’un doit commencer et on a décidé de le faire car nous sommes devant une situation inéluctable. Nous sommes à la croisée des chemins. L’Ile Maurice est en train de porter une chemise pour enfant alors qu’elle est adulte. Nous sommes condamnés à nous ouvrir sur l’extérieur. C’est une décision stratégique de grande importance. Cela implique l’ouverture du trafic aérien, du flux libre des capitaux, que l’île Maurice soit terre d’accueil pour les investisseurs, que l’on enlève toutes les barrières qui peuvent gêner le commerce régional.
 
Il est évident qu’une exportation en franchise à l’île Maurice doit comporter un élément de valeur ajoutée. Je n’ai pas envie que La Réunion devienne une plateforme de transit de marchandises venues d’ailleurs ! Donc il est clair que l’exemption des droits de douane s’applique à des produits qui auront une certaine valeur ajoutée.
 
L’île Maurice attend-t-elle une réciprocité ?
Je fais le premier pas et j’espère vraiment que La Réunion, Madagascar, Seychelles suivront. Mais une volonté ne peut être une idée. Une idée doit s’exprimer dans la réalité.
 
En matière économique, on a toujours l’impression que La Réunion a à apprendre de Maurice, et pas l’inverse.
Nous sommes venus aussi pour apprendre. Je le dis en toute humilité. La Réunion est en avance dans certains secteurs qui me fascinent. Nous avons passé une journée hier à la Technor. Je suis très impressionné. C’est un centre de recherche & développement que nous n’avons pas chez nous. Je dois le dire : en matière d’offshore ou de TIC, nous sommes surtout, jusqu’ici, des pourvoyeurs de call center ou de backoffice alors que vous êtes déjà dans la recherche, le développement et la création de programmes donc croyez-moi, ne soyez pas gêné ou quoique ce soit, vous avez une très belle avance sur nous. Primo, j’ai proposé hier un jumelage entre la Technor et la BPML (Business Park), qui est son équivalent à Maurice. Deuxièmement, nous allons envoyer des jeunes ici pour qu’ils soient formés en alternance. Durant ce séjour, nous avons appris beaucoup. Il ne faut pas que La Réunion ait l’impression que nous sommes venus pour prendre, loin de là. Nous sommes venus avec un esprit de partage dans le respect de l’autre.
 
Quelles formes pourraient prendre ces partenariats avec notre île ?
J’ai proposé dans notre budget que l’île Maurice adopte très vite des techniques de production alimentaire bio. C’est facile à dire, mais on n’a pas les moyens, on n’a pas la technologie et on n’a pas les recherches qui ont été faites. Vous avez ici une instance qui a 13 ans d’expérience dans le domaine du bio, c’est le Cirad. On va, là aussi, demander une très forte coopération. J’inviterai dès mon retour mon collègue ministre de l’agriculture à venir visiter le Cirad. Nous avons aussi décidé d’instituer une commission mixte Maurice/Réunion qui sera complétée par la création d’un comité permanent de coordination des projets de coopération.
 
L’un des freins à cette coopération demeure le coût du billet d’avion…
Il n’est pas normal que le prix au km aérien Maurice/Réunion soit parmi les plus chers au monde. J’ai ressenti tellement de complication avec l’aéroport de Saint-Denis que je leur ai dit franchement : écoutez, c’est à vous de décider. Moi je décide pour l’île Maurice, je vais réduire le prix du billet  d’avion et ceux qui veulent me suivront. Le préfet que j’ai rencontré hier a été extrêmement favorable à cette proposition donc je n’ai aucun doute, des décisions vont suivre du côté de l’administration ici. Pour ma part, je contrôle la taxe aéroportuaire à Maurice. Je contrôle le prix du billet d’avion d’Air Mauritius, c’est déjà beaucoup. Après, lorsque Air Mauritius bougera (ses prix), Air Austral bougera. C’est déjà trois freins levés. Il ne manquera que l’aéroport de Gillot.
 
Avez-vous également des visées sur Madagascar ?
Ma prochaine destination maintenant c’est Madagascar. Une délégation est allée identifier le site que la présidence est disposée à donner à Maurice, entre 400 et 600 hectares – et ce n’est qu’un début – à Fort Dauphin. Le 1er ministre malgache est venu à Maurice exprimer son désir de voir l’île Maurice aider Madagascar à créer une zone industrielle. C’est ce qu’on va faire. Ceci implique de gros investissements d’infrastructures évidemment. Au départ c’est une opération bilatérale Maurice/Madagascar mais c’est en venant ici que je me suis dit : pourquoi pas en faire une coopération trilatérale !
 
La fameuse coopération régionale devient réalité ?

Dans 10 ans Maurice sera bien intégrée dans la zone sur un plan économique. On n’a plus le choix. Je vous donne un exemple : la MCB, la plus grande banque mauricienne, générait jusqu’à récemment tout son chiffre d’affaires sur l’île Maurice. Vous savez qu’en 7 ans à peine, 55% de son chiffre d’affaires est en Afrique et à l’extérieur de Maurice !
 
L’île Maurice est contrainte, géographiquement, d’appliquer une politique économique expansive ?
Nous sommes dans un processus d’expansion très rapide. Et on n’a plus le choix maintenant. Notre chemise est bien trop serrée donc on est obligé, pour notre survie, de nous ouvrir sur l’extérieur. Pourquoi la coopération régionale devient concrète ? C’est parce que nous avons maintenant la Commission de l’océan indien. Les moyens financiers sont là, c’est fou. Bruxelles est là, Paris est là et nous envoient un message : messieurs travaillez ensemble. Jamais ce message n’avait été aussi clair que ça. Travaillez ensemble, c’est ce qu’on fait !
 
Cette volonté de redirection vers des secteurs à forte valeur ajoutée n’est-elle pas la contrepartie d’un désengagement des investisseurs sur ce qui faisait l’intérêt de Maurice, sa main-d’œuvre peu coûteuse, remplacée désormais par Madagascar ?
On ne perd jamais ! En 1983 j’étais ministre des finances. L’île Maurice était dans une crise d’une telle profondeur qu’on est allé à Hong Kong. On a invité les industriels à venir à Maurice. Ils ont quitté Hong Kong parce qu’il y avait un potentiel en terme de coût de production chez nous. Ils sont venus et ils sont repartis. Mais ça a donné à Maurice la technologie nécessaire pour dépasser à notre tour nos frontières.
 
Quelles sont vos autres ambitions dans la zone ?
Jeudi nous finalisons un accord de partenariat avec le Ghana pour une technopole à Accra. La technopole de La Réunion peut participer pleinement ! Je suis venu vendre un rêve, un rêve réalisable. Il faut juste maintenant que nous ayons les ambitions de notre rêve. On est dans cette phase de basculement vers un second miracle. 400 milliards de roupies vont être injectées dans l’économie mauricienne dans les cinq ans qui viennent. C’est colossal. Je vois que Maurice est en train de changer très très vite. Le gouvernement est en train de créer ce que l’on appelle un fond souverain dont l‘objectif sera d’investir énormément en Afrique, à La Réunion aussi, à Madagascar. On donne l’image d’une nation qui est en train de s’ouvrir, qui est condamnée à s’ouvrir. L’économie d’échelle à laquelle on aspire ne peut plus se contenter du 1,3 million d’habitants. C’est une aventure merveilleuse. Je vois ça comme la plus belle des aventures ce que je vis actuellement. J’ai vécu le premier miracle de 1983-1990, on est en train de vivre le second miracle mauricien qui est basé sur l’expansion.
 
Votre île n’en finit pas de découvrir de nombreux scandales financiers dont le dernier en date aurait pu créer une déflagration de l’économie mauricienne ?
Il y a eu une impression de chaos du fait de la volonté de notre gouvernement de nettoyer, de purifier les institutions là où le laisser-aller a failli nous mener dans le trou. Le pays a eu beaucoup de chance. La BAI (British American Investment) a vendu du rêve via un ponzi (un montage financier frauduleux à la manière du célèbre système de ponzi pratiqué par l’escroc du siècle Bernard Madoff aux USA, ndlr) et a joué sur l’avidité de l’être humain. La BAI ça représente 33 milliards de roupies, soit 10% du PIB de Maurice. C’est l’un des plus grands groupes de Maurice. On parle là d’une entreprise qui s’écroule et qui entraîne avec elle le risque d’une déflation économique. Je pense que l’Ile Maurice sera un jour une étude de cas. C’est fou que Moody’s en vienne à dire qu’on a réussi en quelques semaines à résoudre un problème monumental. Le Banque mondiale qui a géré la crise identique à Trinidad en 2009 est encore en train de panser leurs plaies. La façon dont on a pu s’en tirer était liée à notre capacité à décider très vite. On a tranché en 24h. On a frôlé une catastrophe sociale hors du commun ! Ma réaction a été de garantir l’emploi immédiatement. Je suis allé plus loin : j’ai annoncé qu’on garantissait aussi tous les déposants de tous leurs investissements. On garantissait aussi toutes les polices d’assurance. Passé le plus dur, il fallait ensuite qu’on gère les 2.400 victimes qui ont tout perdu dans ce ponzi qui représentait 30 milliards de roupies.
 
Si l’Etat mauricien garantit les épargnants après des faux pas des banques pour éviter un phénomène de panique et d’effondrement, est-ce que ce n’est pas finalement le contribuable qui est amené à payer l’ardoise ?
On a créé une société qui regroupe tous les actifs qui restent du groupe BAI et on a pris l’engagement de rembourser tout le monde mais en prélevant 15 à 20% sur le capital parce que finalement ils ont pris des risques énormes. On espère être arrivé au bout du tunnel avec la BAI.
 
Est-ce un sacré coup porté à l’image de Maurice auprès des investisseurs ?

L’agence Moody’s a dit que c’est incroyable à quel point cette volonté de nettoyage donne confiance à l’investisseur.
 
C’est la réactivité de l’économie mauricienne qui est saluée ?
Ça prouve la capacité de réactivité du gouvernement. A Maurice, on n’arrive pas à comprendre qu’on est en train de déclencher une nouvelle révolution. Ce qui va se passer dans les cinq ans qui viennent : le pays sera transformé en profondeur. Pas seulement avec les capitaux étrangers mais parce que le pays même change. Un banquier étranger me disait il y a quelques jours : à la vitesse où on va, dans trois ans l’île Maurice ne va plus regarder en arrière. C’est joli cette phrase. Il y aura des problèmes évidemment. Une crise économique mondiale est inévitable. Il ne faut pas vendre du rêve, c’est pourquoi l’aspect régional va prendre beaucoup plus d’importance dans les temps qui viennent.

 

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