Rosaire est une figure incontournable du paysage urbain saint-pierrois. Au croisement des rues Le Vigoureux et Bons-Enfants, ce petit sexagénaire lourdement handicapé vend des bocaux de piment confit, de gingembre-mangue, et du gingembre ou du curcuma frais, et aussi du tamarin vert et des zévis mûrs à la saison.
On voit déjà se profiler la silhouette du délinquant de haut vol. Il y a des années qu’il est là et sa clientèle est fidèle car, foi de gourmet (gourmand), ses produits sont mieux que bons. Sans que cela aie jamais fait de lui un homme fortuné. Cela se saurait.
Eh bien figurez-vous que Rosaire est un dangereux criminel ! C’est en tout cas ce qu’ont dû penser les badauds qui, le 18 février dernier, ont vu fondre sur son misérable étal la fine fleur des limiers de sainte Douane française.
Quelques rouleaux de « salade »
« La douane a été mise au parfum par un corbeau ; elle a fondu sur son misérable étal pour contrôler ses bocaux de piment », s’est emporté Me Raffi. Mais si un corbeau a le droit de dénoncer qui il veut, le mis en cause n’a aucun droit de savoir qui lui veut du bien. C’est notre logique policière bien à nous.
Les douanes, alléluia ! ont déniché quelques rouleaux de « salade » prête à être consommée, ce qui a fait hurler au trafic de grande envergure par l’accusateur public. Assurément, c’est la saisie du siècle et Pablo Escobar n’a qu’à péter de jalousie. Il suffit d’ailleurs de constater le luxe évident dans lequel baigne l’accusé, ses savates deux-doigts, ses vêtements élimés, pour constater que sa table bancale des rues saint-pierroises n’est qu’une façade.
Mais la duperie n’a pas échappé aux limiers de saint Gabelou ; et Rosaire, clopin-clopant, claudiquant, boitant bas (faut-il que j’en rajoute), s’est avancé péniblement jusqu’à la barre. Pour dire… qu’il n’avait rien à dire et qu’il est tout ce qu’on veut, sauf un trafiquant d’envergure. Il en cède un peu à des potes qui oublient souvent de le payer.
Les champs de Mohamed VI
Me Raffi a déployé tout son art de la mise en scène car « il n’y a pas de petites affaires ! » Et d’abord sa majesté Mohamed VI, ci-devant roi du Maroc, qui possède la plus grosse exploitation de cannabis de la planète. Si !
« Mais la raison d’Etat interdit de poursuivre cet ami de la France dont les produits frais ou transformés inondent le marché national. Et là, pour 5 kilos de zamal, on lui dépêche les escouades armées des douanes ! Pour un homme fortement diminué physiquement, qui fait des infusions médicinales pour se soigner et en cède un peu ici ou là. Trafic ? a ironisé l’avocat, Trafic international ? Import-export de cannabis ? Soyons sérieux ! »
La Cour a condamné ce dangereux trafiquant à 6 mois avec sursis et a accordé aux pitoyables douanes françaises la somme fantastique de 9.938 euros de dommages-intérêts. Pour les récompenser de leur fatigue lors de l’impitoyable course-poursuite (immobile) contre un handicapé physique qui n’a même pas compris le jugement : « Là zot i envoye à moin dedans, là ? »
Minable !
Jules Bénard