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« Halte à l’élitisme conservateur ! »

Démocratiser l’école et la réussite, c’est l’essence de l’élitisme républicain

Ecrit par Maya Akkari (responsable du pôle Education du think tank Ter – le lundi 18 mai 2015 à 17H02

La réforme du collège fait face à une opposition de principe qui ne s’intéresse guère à la réalité des mesures annoncées. La polémique ignore l’essentiel, la lutte contre l’échec scolaire, estime un collectif dans une tribune au  » Monde ».

La réforme du collège portée par la ministre de l’éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem, est accusée de sacrifier l’enseignement de l’allemand et des langues anciennes, et de pervertir les programmes d’histoire. On peut naturellement débattre de l’opportunité de cette réforme, ou discuter de la manière dont elle est conduite, mais il est inutile de lui faire dire ce qu’elle ne dit pas.

Le sacrifice de l’allemand ? La réforme va, en réalité, mettre fin aux classes bilangues, qui permettent, aujourd’hui, à 16 % des élèves de 6e et de 5e d’apprendre deux langues vivantes, dès le début du collège. Il est vrai que ces classes ont permis de soutenir l’apprentissage de l’allemand dans notre pays. Mais, la même réforme va imposer à tous les collégiens l’apprentissage de deux langues vivantes dès la 5e, ce qui est une bonne nouvelle.

Les expérimentations de ce système, qui ont été conduites à Rennes et à Toulouse, suggèrent, en outre, que l’enseignement de l’allemand ne sera pas sacrifié, au contraire. Enfin, l’année de langue vivante perdue par 16 % des collégiens en 6e sera, en revanche, une année gagnée pour les 84 % restant, dès la 5e.

Le sacrifice du latin ? La vérité est que les collégiens qui désirent étudier le latin pourront le faire dans le cadre des heures consacrées aux enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI), ou dans le cadre d’horaires aménagés à dessein.

Ces EPI, sur lesquels pèse un étrange soupçon de principe, ne sont nullement des enseignements au rabais. Ils introduisent, de manière mesurée, des méthodes de travail faisant davantage confiance à la capacité d’apprentissage et à la curiosité des élèves. Ils incitent également les équipes enseignantes à construire des projets dans leur établissement, dans le cadre de programmes nationaux.
Outils de sélection

La perversion des programmes d’histoire ? L’idée selon laquelle l’enseignement de l’histoire du christianisme deviendrait optionnel, alors que celui de l’histoire de l’islam serait obligatoire, ne tient pas davantage la route. En réalité, c’est l’enseignement du christianisme médiéval qui deviendrait optionnel en 5e. Pour autant, l’étude de la naissance du christianisme figurait déjà – et se maintient – au programme de 6e.

Par ailleurs, la religion et la culture chrétiennes sont présentes dans quantité d’autres items du programme : il est ainsi difficile de ne pas les évoquer au sujet de l’Occident médiéval, des pouvoirs du roi ou de l’Empire byzantin… Quant à l’étude de la naissance de l’islam, elle n’a rien de nouveau : elle était déjà obligatoire !

Mais les pourfendeurs de la réforme ne s’intéressent pas au détail des mesures. Ils sont surtout animés par un élitisme conservateur. Celui-ci s’illustre, en particulier, dans leur défense de l’enseignement du latin. Ils dramatisent ce symbole, comme si le socle de nos vertus civiques reposait sur la déclinaison latine, et comme si la bonne pratique de notre langue dépendait de la capacité de chacun de traduire dix lignes de Cicéron.

Mais, si tel était le cas, il faudrait imposer l’apprentissage du latin à tous les élèves ! Ce que personne ne propose. En réalité, le latin n’est pas défendu pour ses vertus propres, mais pour ce à quoi il sert en pratique : l’identification et la sélection des bons élèves.

Le choix de l’allemand comme première langue vivante ainsi que les classes bilangues ont souvent eu la même fonction, du reste : ils ont servi à constituer des classes de niveau à l’intérieur d’un collège prétendu unique. Autrement dit, ils ont été des outils de sélection indirecte dans un contexte censé empêcher ou différer la sélection. Ce n’est faire injure à personne de constater que ce n’est ni le latin ni l’allemand qui intéressent le plus les enfants de l’élite, mais plus simplement leur  » rendement scolaire « , autrement dit les avantages que cela leur procure dans la hiérarchie scolaire.
Peurs identitaires

En réalité, l’élitisme des adversaires de la réforme ne sert qu’en apparence la cause de l’allemand et du latin. Car, quoiqu’ils s’en défendent, il consiste surtout à mettre le conservatisme culturel au service de l’utilitarisme le plus plat. Ils se font ainsi les alliés ou les idiots utiles d’un esprit de compétition qui n’est guère animé par l’amour des grandes œuvres de l’Antiquité ou le goût de l’amitié franco-allemande, mais le plus souvent par le simple désir d’entre-soi des élites.

A cet élitisme conservateur s’ajoutent les peurs identitaires de ceux qui fustigent le dévoiement des programmes d’histoire. Car ce qu’ils redoutent est l’ensevelissement de l’identité française sous la repentance postcoloniale, l’ouverture à l’islam et le culte des pages les plus sombres de notre histoire… Outre qu’elles sont souvent infondées, comme on l’a vu, ces attaques traduisent une étrange conception de l’enseignement de l’histoire.

Que recherche-t-on à travers lui ? Le développement de l’enthousiasme patriotique ou l’éducation d’un citoyen capable de s’orienter à la lumière des enseignements du passé ? Dans le premier cas, les programmes d’histoire devraient s’efforcer – et pourraient se contenter – de raconter une belle histoire. Dans le second cas, ils ont vocation à s’approcher de la vérité et à dissiper les fantasmes. C’est, selon nous, cette seconde version qui doit être privilégiée dans l’intérêt de tous.

Mais, surtout, pendant que ces polémiques occupent la chronique, on ne s’occupe pas de l’essentiel : la lutte contre l’échec scolaire. Tout le débat se concentre sur le contenu des programmes d’histoire et sur les supposées pertes de chances qu’un recul du latin ou de l’allemand pourrait imposer aux meilleurs élèves. Mais on n’accepte toujours pas de prendre en considération les pertes d’opportunité des élèves en difficulté, ou même des élèves moyens.

Ce qu’il faudrait valoriser, c’est justement tout ce qui permet de combattre l’échec scolaire. Et cela passe de plus en plus par des programmes moins lourds et par des stratégies pédagogiques pensées à l’échelle de l’établissement. Les médiocres résultats du collège français dans les comparaisons internationales, mais aussi l’image dévalorisée des élèves et des enseignants qui s’y développe justifient largement qu’on cherche à rompre avec le mythe d’un traitement uniforme des collégiens et qu’on retrouve, derrière l’image abstraite de l’élève, des situations d’enseignement plus réalistes.

C’est le chemin qu’ouvrent les EPI. Ces débats sont certainement moins grandioses, mais sans aucun doute beaucoup plus utiles à l’intérêt général.

Maya Akkari (responsable du pôle Education du think tank Terra Nova), Christian Baudelot (sociologue), Laurent Bigorgne (directeur du think tank Institut Montaigne), Anne-Marie Chartier (historienne), Roger Establet (sociologue), François Dubet (sociologue), Dominique Julia (historien), Marc-Olivier Padis (directeur de la rédaction de la revue  » Esprit « ), Antoine Prost (historien), Thierry Pech (directeur général de Terra Nova) et Benjamin Stora (historien)

Maya Akkari

 

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