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Emploi local, une revendication légitime

La question de la « préférence régionale », de la « régionalisation de l’emploi » ou du « soutien à l’emploi local » (je préfère le dernier concept qui écarte toute idée d’exclusion) revient périodiquement dans le débat public ces dernières années. Dans un contexte de chômage durable il n’est ni étonnant ni choquant que […]

Ecrit par Jean-Marc Bédier, Préfet honoraire. – le vendredi 15 septembre 2017 à 17H35

La question de la « préférence régionale », de la « régionalisation de l’emploi » ou du « soutien à l’emploi local » (je préfère le dernier concept qui écarte toute idée d’exclusion) revient périodiquement dans le débat public ces dernières années.

Dans un contexte de chômage durable il n’est ni étonnant ni choquant que des voix s’élèvent pour demander que les emplois créés ou qui deviennent disponibles profitent le plus possible à celles et ceux qui sur place souffrent de ce chômage endémique, surtout lorsque les compétences existent.

Force est toutefois de constater que cette demande reste politiquement timide voire incorrecte, mises à part des interventions ponctuelles, notamment à l’occasion de nominations à des postes de haut niveau ou emblématiques. Insuffisamment défendue ou contestée, la revendication d’une politique globale de soutien à l’emploi local est pourtant légitime et doit être affirmée et prise en
compte, tout en ayant conscience des limites et conditions de réussite d’une telle démarche, la première étant d’éviter l’enfermement et l’exclusion.

UNE REVENDICATION LEGITIME

La légitimité de la demande est d’abord fondée sur une situation économique et sociale particulière, avec un chômage hors norme et les graves conséquences sociales que l’on connait. L’emploi devient alors un déterminant social qui justifie une politique de recrutement adaptée.

Cette légitimité est renforcée par des contraintes géographiques qui constituent à la fois un handicap économique reconnu par la Constitution et les Traités européens et une limitation naturelle de la « mobilité du travail » sur le territoire national. Une mobilité qui est souvent, faut-il le rappeler, subie dans un sens, choisie dans l’autre. On ne parle pas assez de cette rupture d’égalité, pourtant réelle.

Soutenir les recrutements locaux s’inscrit par ailleurs dans une logique de politiques publiques. Ces politiques ont un coût et sont gouvernées par le principe d’efficience. Les mesures – coûteuses – mises en oeuvre pour lutter contre le chômage n’atteignent pas leur but si dans le même temps on a recours, de manière conséquente et sans nécessité technique, à des recrutements extérieurs. La prise en charge de la mobilité du travail vers la métropole qui en découle majore également le coût pour la collectivité.

Le soutien à l’emploi local est d’autant plus justifié que les compétences existent. Il convient ici de faire deux remarques. D’abord concernant la condition de recrutement « à compétences égales » :

l’appréciation de cette notion doit se faire en tenant compte « des qualifications et de l’expérience professionnelle requises pour occuper (l)’ emploi », ainsi que l’a rappelé le Conseil d’Etat dans son avis du 2 avril 2009 sur le projet de loi de pays de la Nouvelle-Calédonie relatif à l’emploi local. Il est facile en effet de justifier un recrutement extérieur par la présentation de diplômes supérieurs aux qualifications qu’exige l’emploi… Invoquer par ailleurs la non-disponibilité des qualifications recherchées relève souvent d’un manque d’anticipation.

Exigence sociale et de gestion des fonds publics, l’accès local à l’emploi constitue aussi un impératif politique et sociétal. C’est un impératif politique parce que la situation actuelle crée et accumule des frustrations. Sur un plan sociétal on ne peut offrir comme perspective principale, à nos jeunes et à ceux qui doivent évoluer dans leur vie professionnelle, une mobilité loin de chez eux qui est souvent une mobilité de rupture de liens familiaux et sociaux. Cette mobilité restera certes nécessaire et inévitable mais ne peut plus être une migration systémique et massive.

Une politique d’emploi local ne remet pas en cause, enfin, le principe constitutionnel d’égalité. Dans les collectivités autonomes de l’article 74 de la Constitution (COM-DA) pouvant instaurer une politique de soutien à l’emploi local, le respect du principe d’égalité reste une exigence juridique et impose des limitations et un encadrement strict. Le Conseil d’ Etat a ainsi censuré la loi de pays du 19 mai 2009 de la Polynésie Française dans la mesure où celle-ci « a imposé à l’accès aux emplois publics en Polynésie Française des restrictions excédant celles strictement nécessaires à la mise en oeuvre de l’objectif de soutien de l’emploi local et méconnu le principe constitutionnel d’égal accès aux emplois publics…». ll n’y a pas, comme on le voit et sur le principe – et contrairement à ce que beaucoup prétendent – d’incompatibilité entre principe d’égalité et soutien de l’emploi local.

Il est possible aujourd’hui d’avancer par un ensemble de mesures permettant de mieux prendre en compte la réalité locale. Elles peuvent être règlementaires comme la reconnaissance du CIMM dans la fonction publique. Elles peuvent aussi relever d’engagements et de pratiques que l’on pourrait qualifier « d’ardente obligation » pour l’ensemble des acteurs. Le tout est de bien mesurer les
conditions de la réussite de telles adaptations.

LES CONDITIONS DE LA REUSSITE ET LES LIMITES D’UNE POLITIQUE DE SOUTIEN A L’EMPLOI LOCAL

Il convient d’abord d’éviter l’exclusion et l’enfermement. Cela irait à l’encontre de la tradition réunionnaise et de l’image que donne une société multiculturelle harmonieuse et tolérante. Ce serait ensuite contreproductif en termes de performances et c’est valable pour le public comme pour le privé.

Il y a bien entendu des limites juridiques, évoquées ci-dessus, dont on fait à tort cependant un obstacle absolu. Il convient néanmoins de rappeler que la référence exclusive à « l’origine » des personnes serait inconstitutionnelle. Dans les collectivités d’outre-mer dotées d’autonomie (COMDA) et en Nouvelle-Calédonie où des mesures de protection de l’emploi local sont possibles, c’est la notion de « durée de résidence » qui détermine les bénéficiaires de telles mesures, jamais celle « d’originaires ».

Une des conditions essentielles de la réussite de la mise en oeuvre d’une politique dans ce domaine est l’adhésion des principaux acteurs intéressés. Celle bien entendu des employeurs, publics et privés. On peut regretter à cet égard que les engagements de l’Etat sur les propositions du rapport Lebreton n’aient eu un commencement de réalisation que sur la question des mutations des
fonctionnaires.

Pour la fonction publique, outre la prise en compte prioritaire du CIMM pour les mutations nous devons aller vers une déconcentration des concours de la fonction publique de l’Etat – au moins des catégories B et C – dans le cadre d’une mutualisation des recrutements. Au-delà des mesures particulières, certaines règles générales doivent par ailleurs être respectées. La transparence dans les recrutements : elle concerne toutes les fonctions publiques et vaut pour les administrations stricto sensu comme pour leurs établissements publics comme les hôpitaux ou les organismes « parapublics » fonctionnant essentiellement à l’aide de fonds publics.
Pour la Fonction Publique de l’Etat, un équilibre doit être trouvé entre recrutements sur place et retour des « Réunionnais » qui ont fait l’effort de la mobilité en métropole. S’agissant du privé, la prise en compte par les entreprises de l’environnement social dans lequel elles travaillent outre-mer est à la fois une obligation morale et la contrepartie normale d’un ensemble important de mesures dont elles bénéficient – défiscalisations, réductions de charges sociales ou autres, aides à l’investissement et à l’emploi -, au demeurant justifiées. Un engagement des organisations professionnelles, dans une ou des chartes régionales, constituerait à n’en pas douter
une avancée importante, sans risque de rigidités économiques. Un tel engagement a été évoqué lorsde la visite du Président de la République à La Réunion en 2014 et ne pourra longtemps être différé.

Le soutien actif des élus, syndicats et associations est aussi primordial et doit aller au-delà desinterventions sectorielles ou des cas individuels, certes non négligeables jusqu’ici et efficaces en ce qui concerne le secteur public. Comme rappelé en introduction, on ne peut que constater l’absence aujourd’hui d’une revendication forte et globale, portée notamment par l’ensemble des
représentants élus de la population.

Avant de conclure, il convient de dénoncer le discours consistant à assimiler toute politique d’emploi local à la « préférence nationale » prônée par l’extrême droite, voire à brandir des risques de xénophobie. La préférence nationale est un concept politique et une doctrine globale de protection nationaliste, qui tend vers l’exclusion. On ne saurait la comparer sans excès et sans mauvaise foi à une politique d’emploi outre-mer justifiée par des contraintes particulières, laquelle a d’ailleurs déjà une existence juridique s’agissant des collectivités relevant de l’article 74 de la Constitution, qui sont des territoires à part entière de la République. Et à ma connaissance on n’a pas brandi de telles accusations contre la maire de Paris, Madame Hidalgo, qui a signé des chartes avec de grands groupes pour favoriser l’emploi des « Parisiens » (charte avec le groupe Casino notamment, 19 février 2016).

On ne saurait terminer cette réflexion sans rappeler que le soutien à l’emploi local tel qu’on l’entend ici ne saurait suffire à régler le problème de l’emploi à la Réunion. Notre territoire ne crée pas suffisamment d’emplois durables. Les commentaires sur chaque mauvais taux de chômage publié et les polémiques récentes à propos de la rentrée scolaire, tournant tous autour du nombre alloué ou de l’efficacité du dispositif d’emplois aidés, sont significatifs de l’état d’artificialité acceptée de notre économie, dont le modèle a montré depuis longtemps ses limites. C’est un autre débat, qu’on ne pourra éternellement traiter par un empilement de mesures qui ne traite pas le problème de fond.

Saint-Denis le 14 septembre 2017. Jean-Marc Bédier, Préfet honoraire. 

 

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