« Lé simple monsieur, ou voit le soir du 24, nout tout l’était en famille autour d’un repas un peu plus meilleur que les zot jours mais n’avait rien de plus pou fêter. Mi rappellera toujours la grande occasion que l’était d’avoir ne serait-ce qu’un « bal » letchis pour les 10, 12 personnes, frères et soeurs, parents. Ca déjà, l’était comme un repas de fête. Koméla ou va dormir 1h de matin, à l’époque juste après mangé vers 7h du soir nous té discute pendant une heure dans le salon et après tout le monde té sa au lit » raconte sur un ton jovial Paul, un saint-andréen de 68 ans, « ralé par ses enfants » comme il dit, sous les filaos de l’Ermitage pour la journée.
De l’autre côté du poste MNS, c’est Marie-Ange, dont nous ne saurons l’âge, qui évoque le 24 décembre de son enfance. « Mi souvien que ma maman, avec mes tantes, zot té manque pas la messe de Noël. C’était mal vu si ce soir-là ou té vien pas. C’était un rendez-vous immanquable. C’était comme si le Bon Dieu y regardait a ou et té di : ah bon, ou lé pas venu. Attend a ou pour l’année prochaine » rigole-t-elle. « Aujourd’hui, i fait pu trop un compte avec ça. Les personnes âgées oui par contre. Pour moi, la messe ça sera demain matin, à 9h30 à l’église de Saint-Paul ».
Casser la croûte dans l’Ouest, sur la plage, était aussi inimaginable dans les années 60. « Comment dire ça ? Déjà nou n’avé pas de voiture. Et à l’époque, té i pense pas à ça. La plage c’était pas pour nous. Tout ça lé venu plus tard, peut-être na 15 ans de ça ».
Moins riche, mais « nous l’était plus heureux »
Sous un climat plus rude, Jean, 73 ans, se souvient de son Noël dans la région lyonnaise, au sortir de la Guerre 39-45. C’est aujourd’hui sous un filaos qu’il évoque avec nostalgie cette époque. « Pour Noël, on mettait nos souliers comme on nous le disait la veille et on avait une orange, une papillote ou des petits jeux de cube. C’était terminé, on était contents. Maintenant, c’est commercial. Y’a le repas, le champagne, le chocolat. Y’a que ça qui compte. Si vous enlevez ça, y’a pas grand chose » dit-il, lucide sur le Noël du 21e siècle. « Cette nuit-là on ne sortait pas de notre coin. De toute façon, où c’est que vous vouliez aller ? »
Tout naturellement, l’évocation de ce moment à part dans l’année fait ressortir les souvenirs non pas d’un réveillon, mais de toute une époque.
« Nous avions deux prises d’électricité mais il nous arrivait de sortir la lampe à pétrole. Ni frigo, ni machine à laver. On était pauvres mais on était pas malheureux. On vivait avec ce qu’on avait. A partir des années 60, on commençait à se dire : l’année prochaine on gagnera mieux sa vie. Et c’est vrai : on gagnait toujours plus. C’était les trente glorieuses. On voyait arriver la télé, la voiture, le niveau de vie s’améliorait. Tout était possible. Mes enfants, ça va. Mais pour mes petits-enfants : qu’ils aillent à l’école ou pas, ils seront moins riche que moi qui n’ait fait qu’in p’tit boulot de pas grand chose. Je ne sais pas comment ils vont acheter leur maison. Des crédits sur 30, 40 ans : le temps d’une vie. Quand j’étais jeune, je ne me posais pas ces questions. j’allais à l’école en me disant que j’allais trouver du travail à la sortie, j’étais sûr d’avoir une maison, une femme, des gosses » se remémore Jean, le Lyonnais.
« Nou n’avé moins, beaucoup moins mais mi pense que nous l’était plus heureux dans le sens ou nou té pense pas à tous les malheurs dans le monde. C’était, si vous voulez, l’insouciance que les jeunes maintenant, même mes enfants na du mal pour comprendre » résume Clotilde, une « voisine » qui accompagne les saint-andréens. Assurément, pour eux, le réveillon marque encore un peu plus le trait de la nostalgie.