Richard Muller est non-voyant depuis une dizaine d’années. Un jeudi matin, nous avons décidé de le suivre depuis la boulangerie, où il a acheté deux belles baguettes, jusqu’à son domicile, à La Montagne. Richard Muller se déplace à la canne. La route, quand on ne voit pas, est un parcours semé d’embûches qui nécessite une attention de tous les instants.
Il faut faire attention à tout : aux voitures, aux cyclistes difficiles à entendre, aux piétons trop discrets, à l’absence de trottoirs, aux ravines, aux chaussées déformées, aux imprévus… que seuls un balayage continu de la canne, une bonne dose de vigilance et une solide expérience permettent de contourner, d’éviter, de traverser.
Le parcours jusqu’à la boulangerie, d’environ 2 kilomètres, Richard Muller l’a repéré plusieurs fois avec un professionnel du SAMSAH DV. Car jamais un non-voyant ne s’élancera seul s’il n’a pas repéré minutieusement son trajet. « J’ai travaillé avec un instructeur de locomotion, qui m’a progressivement amené à gérer mes déplacements en autonomie« , explique ce retraité de l’Education nationale. Pendant deux années, il a travaillé différents trajets en prenant des repères au sol, des repères sensoriels. Il doit ensuite mémoriser le trajet et s’élancer. « La première fois, on a un peu peur ! », souligne-t-il.
« Beaucoup de personnes aveugles ne sortent pas de chez elles »
A La Montagne, comme dans beaucoup d’autres endroits à la Réunion, l’absence de trottoirs rend la tâche très difficile pour les personnes handicapées. Dur de se rendre à la boulangerie, à la Poste ou à un arrêt de bus dans ces conditions. Conséquence, « il y a des personnes aveugles qui se renferment, ne sortent pas de chez elles. Beaucoup de déficients visuels ne se déplacent pas ou plus« . L’association AVH (Association Valentin Haüy), dont Richard Muller fait partie, milite pour sortir de l’isolement les déficients visuels.
Un isolement renforcé par l’absence quasi-totale de transports en commun adaptés. « Pour sortir une personne de l’isolement, il faut pouvoir lui permettre de sortir dans un environnement sécurisé. Dès qu’on veut sortir de son quartier, on est soit dépendant d’une tierce personne, soit de prendre des transports en commun coûteux« , ajoute Richard Muller.
Prendre un taxi n’est en effet pas possible pour tout le monde. Et prendre un bus nécessite d’être travaillé avec un professionnel. Il n’y a pas de transports adaptés pour les déficients visuels au prix d’un trajet de bus, comme cela se fait dans beaucoup de régions de France. Le seul dispositif adapté est celui mis en place par le GIHP (Groupement pour l’Insertion des personnes handicapées), « mais cela reste onéreux« , constate le non-voyant.
L’accessibilité pour tous à l’horizon 2015 ne sera « jamais tenue »
« On souhaiterait que soit mise en place cette fameuse accessibilité des transports pour tous, qui doit prendre effet au 1er janvier 2015. Mais pour le moment, on en est loin », renchérit Richard Muller. Un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), publié fin septembre, a d’ores et déjà souligné que cette obligation, fixée par une loi datant de 2005, ne pourra « en aucun cas être tenue. (…) Cette impossibilité résulte, au premier chef, de l’ampleur considérable des travaux à réaliser », et cela « dans un contexte de crise », écrivent les auteurs du rapport.
Autrement dit, pour bénéficier de transports adéquats, les déficients visuels devront patienter un peu. En attendant, la galère continue…