Il y a des jours où l’on ne regrette vraiment pas de s’être levé de bonne heure.
L’audience de ce matin, en correctionnelle à Saint-Pierre, promettait pourtant une forte dose de morosité : que des affaires de travail dissimulé, dépassements horaires, non-déclaration d’activité, bref, le tout-venant des petites entreprises réunionnaises. Il y a plus marrant, non ? Tout faux !
Voir la présidente Flauss, si impassible d’habitude, éclater de rire et ordonner au procureur Saunier de laisser parler le prévenu, voilà qui nous change du sempiternel rougail saucisse. Il faut dire aussi que l’un des prévenus avait relu son Sacha Guitry sur le bout des doigts et a fait un incroyable cinéma. Qui a plié toute la salle. Les jeunes collégiens d’à côté, venant à l’audience pour la première fois, n’ont pas été déçus du voyage.
Une affaire simple entre toutes. Betty et Vivien gèrent une petite boîte de gardiennage et sécurité depuis 7 ans et ça marche plutôt bien pour eux. Sauf que la CGSS et la Direction du travail et de l’emploi les poussaient en justice pour exécution de travail dissimulé, non paiement d’heures supplémentaires et dépassement de la durée maximale hebdomadaire de travail.
A noter que, comme toujours, les deux plaignants brillaient par leur absence. A se demander s’ils ne considèrent pas de leur compétence d’embêter les gens au maximum et, une fois les accusés devant la Cour, de se désintéresser purement et simplement de la question ?
Si Betty est restée d’un calme olympien, répondant très précisément aux questions de la présidente, Vivien n’a pas cesser d’arpenter le prétoire, levant les bras au ciel, interrompant même sa compagne, coupant la parole au procureur et assaisonnant « sa » défense de commentaires qui en ont laissé plus d’un sur les genoux. Morceaux choisis :
« La CGSS est sourde et muette… Nous n’avons jamais eu de réponses aux nombreuses demandes d’explications que nous leur avons adressées… La mairie nous donne un bon de commande huit jours avant le travail à effectuer et me laisse une semaine pour trouver les quarante employés diplômés ! Où je les trouve, devant la boutique ?… (Ndlr : car ces jeunes patrons n’emploient que des gens de sécurité ayant diplôme en poche !)… Laissez-moi parler, monsieur le Procureur !… Je connais le boulot, j’étais dans la police nationale… Je veux être millionnaire mais (les bras prenant le Ciel à témoin) les conditions du marché… Monsieur le Procureur, inversons les rôles, c’est moi qui vais vous poser une question… (Ndlr : la présidente Flauss, sourire tranche papaye, intervient fort à propos pour éviter le dérapage prévisible)… C’est nous qui courons derrière la Caisse pour payer. Mais ils mettent deux/trois ans à traiter le dossier. S’ils ne connaissent pas leur boulot, c’est à nous de le faire à leur place ?… Si la loi est mal fichue, c’est à nous de la changer ?… On court derrière eux pour casquer et ils ne répondent pas !… »
Le calme de l’une, la véhémence de l’autre ont fait que ces deux-là, apparemment de bonne foi, se sont vite attiré la sympathie de tous. Il faut dire que le dossier des plaignants semblait singulièrement mal ficelé.
Un des reproches porte sur le fait que leur siège social est à La Saline mais qu’ils travaillent aux Avirons. Ce qui, une fois de plus, fait bondir notre comédien :
« Madame la présidente, le terrain de La Saline m’appartient mais la case dessus, en tôle rouillée, est bourrée de rats, de cafards, de moustiques et de scolopendres. Voudriez-vous qu’on travaille là-dedans ? »
Heures supplémentaires non payées ? « On n’a jamais su comment les gérer puisque la Caisse ne nous l’a jamais dit. Ils ont même refusé de me signer un papier disant qu’ils étaient incapables de répondre à mes questions, ce qui est pourtant le cas ! » Ah !
Nonobstant le côté comique évident, nombre de questions sont restées sans réponse mais pas forcément à la charge des accusés. Ainsi le système des marchés « à bons de commande » si prisés des mairies. Soi-disant destiné à gérer l’urgence, il met les sociétés en concurrence « dans l’urgence », ce qui ne laisse pas beaucoup aux concurrents le temps de se retourner.
Il ressort de cette hilarante affaire que les accusés ont été autorisés à continuer d’exploiter leur société malgré le fait d’être traînés devant les tribunaux. Ce qui, avec une absence totale de casier judiciaire, et une situation des cotisations nette et claire, plaide plutôt en leur faveur.
Le procureur Saunier a retrouvé son sérieux pour dire « qu’on ne veut pas la mort du pécheur. Mais il faut tout de même que la loi soit respectée ». Et de solliciter une peine très conviviale. Relayé en cela par Me Vaillant qui est tombée à bras raccourcis sur des administrations qui, ce matin, en ont vraiment pris pour leur grade.
La Cour a suivi avec une petite amende de 820 euros pour le dépassement de la durée du travail.
Cette « générosité » judiciaire, toutefois, ne doit pas dissimuler le fait que les petites sociétés de gardiennage (environ une centaine) sont condamnées à très court terme, comme l’explique Vivien :
« Les grosses sociétés pratiquent le dumping. Elles travaillent souvent à perte pour nous éliminer du marché ; elles en ont les moyens. Lorsque nous, les petits, nous aurons disparu en mettant des centaines d’employés au chômage, elles feront la loi, regonfleront les prix et rattraperont vite les pertes. Comme cela est déjà le cas pour les transporteurs et autres sociétés du BTP ».
Tout le monde l’aura dans l’os.
Jules Bénard