Chaque dernier vendredi du mois, le tribunal correctionnel de Saint-Pierre consacre une séance aux violences intrafamiliales. « Sans compter les cas épars traités lors des séances habituelles du jeudi », soupire la présidente Tomasini les yeux au plafond. Une perplexité justifiée : de 15 à 20 cas lors de ces séances exprès. Ce qui ne donne pas vraiment une idée du nombre de cas réels, la plupart des victimes ne portant jamais plainte.
Ces affaires présentent de nombreux points communs, à commencer par l’absence totale de remords des coupables et une auto-culpabilisation des victimes. Il arrive souvent également que le bourreau et sa proie se présentent ensemble à l’audience, bras dessus-bras dessous, comme nous avons pu le constater ce matin encore.
« Elle est incapable de quoi que ce soit ! »
Dans le cas d’Alphonse B., toutefois, son ex se tenait soigneusement à distance du cogneur.
Cet agent de collectivité, 55 ans, grand, soigné de sa personne, est dans la droite lignée des gens de sa catégorie : il nie tout, c’est lui la victime dans l’histoire !
Elle et lui ont été mariés durant 20 années et durant tout ce temps, il lui a fait vivre un enfer familial qui se pose là. Lui interdisant à peu près tout, il ne lui donnait jamais d’argent, gérant seul les affaires du ménage et cognant dès que quelque chose ne lui convenait pas. Pas le droit de sortir, d’avoir des copines, pas le droit de rien en fait.
« Pourquoi ne pouvait-elle participer à la conduite du ménage ? » s’enquiert la Présidente. Il aurait dû se méfier mais, oubliant toute prudence, réplique aussi sec : « Parce qu’elle en est incapable de quoi que ce soit ». La Présidente lui rappelle qu’elle ne devait pas être si incapable que cela puisqu’il se déchargeait sur son épouse du soin d’effectuer les déclarations d’impôts. Pas de réponse.
340 coups de téléphone en 2 mois !
« Comment en êtes-vous arrivé là, monsieur ? » demande la Présidente. Plutôt que de répondre directement, l’Alphonse se lance alors dans une tirade sans doute destinée à arracher les larmes du tribunal. Comme quoi ils ont été mariés 20 ans, ont eu trois beaux enfants et que lui a travaillé dur, etc. Retoqué aussi sec par la Présidente qui se cantonne aux faits.
Les témoignages racontent les nombreuses fois où l’épouse a subi les coups de son tortionnaire. Le jour où elle en a eu vraiment marre, elle a intenté une action en divorce et est partie avec le plus jeune enfant.
Alphonse a alors harcelé la malheureuse de coups de téléphone, pas moins de 340 en deux mois et demi. L’explication ? « Je voulais savoir où était mon enfant ». Comment la Cour n’y a-t-elle pas songé toute seule ?
« Violences physiques, violences verbales, vous la traitiez plus bas que terre, monsieur. C’est normal ? «
Réaction surprenante :
« Violences verbales, oui. Pour les violences physiques, montrez-moi un certificat médical ! »
« Le cocu est le dernier à savoir ! »
Quant aux violences verbales, tant qu’à faire, autant les minimiser : « C’était spontané, c’est sorti comme ça ! Je ne me rappelle plus les mots. Si les témoignages des enfants sont contre moi, c’est qu’ils ont pris le parti de leur mère, c’est tout. Dans cette affaire, la victime, c’est moi ! »
« Ouais, c’est ça ! » lâche sobrement la Présidente Tomasini ; avant de se reprendre et demander, mine de rien : « Vous l’avez traitée de connasse ? » Regard ébahi du prévenu qui consent : « Oui… pourquoi ? » Comme si cela n’allait pas de soi.
Outre les violences envers son épouse, il y a celles envers un collègue de la femme, un homme qu’il soupçonne d’entretenir une relation sexuelle avec « sa chose ». D’altercations en engueulades et insultes, il finit par tendre un guet-apens et s’en va corriger l’importun avec un manche de pioche.
« Pourquoi cette agression ? » – « Le cocu est toujours le dernier à savoir. Toute la ville était au courant ». Cependant, il nie avoir frappé avec la pioche entière ; « juste le manche, monsieur le Procureur, juste le manche ! » Au substitut Saunier qui veut savoir s’il se considère comme un violent, il a cette réponse surprenante : « J’évite de l’être ».
« Agacé par tant de mauvaise foi »
Me Brigitte Hoareau a eu beau jeu de stigmatiser ce genre d’homme pour qui la claustration, l’intimidation, les coups, les insultes sont phénomènes normaux dans une cellule familiale. Le substitut Saunier s’avouait « agacé par ses accès de mauvaise foi, ce qui caractérise ce type de prévenu. Ses explications alambiquées ne convainquent personne. Il a la violence dans la peau ; c’est un machiste violent parfaitement capable de recommencer sans un sérieux avertissement ».
Alphonse aura 6 mois, avec sursis et mise à l’épreuve pendant 18 mois, pour méditer là-dessus. Avec interdiction de s’approcher de son ex-épouse à qui il devra verser 800 euros de dommages-intérêts.
Sortant de la salle, nous avisons deux tourtereaux roucoulant sur un banc en se partageant des cigarettes. Un violent et sa victime, amoureusement enlacés…