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Chasse aux requins: 10 associations s’unissent autour d’un manifeste

Dix associations (5 nationales, 5 réunionnaises) s'unissent autour d'un manifeste commun qu'elles demandent à faire signer par le plus grand nombre pour "stopper le massacre des requins côtiers de la Réunion". Voici l'intégralité du manifeste intitulé : "Crise requin Réunion : chronique d'un hold-up" :

Ecrit par . – le mardi 13 août 2013 à 09H14

Depuis deux ans, la « crise requin » qui frappe l’Ile de la Réunion ne fait que s’envenimer. Elle a atteint son paroxysme dernièrement.

Sommé par le tribunal administratif de prendre des mesures, le préfet de la Réunion, M. Jean-Luc Marx, vient de décréter de façon unilatérale la mise à mort de 90 requins (45 requins bouledogue et 45 requins tigre) sous un prétexte faussement scientifique du même niveau d’hypocrisie que la chasse à la baleine “scientifique” du gouvernement japonais. L’Etat envisage aussi la mise en place de mesures de “régulation raisonnée” des populations de requins aux abords de l’île sur le long terme.

Comment le préfet de la Réunion peut-il invoquer une “gestion raisonnée des stocks” pour justifier la mise à mort de ces requins alors même qu’il n’existe aucune étude chiffrée sur leur population, que leur surpopulation dans le milieu local est improbable d’un point de vue biologique et que, de son propre aveu, il avance à tâtons sur une base empirique incertaine. Ce genre de décision avait déjà été dénoncé il y a un an par l’institut de recherche et de développement (IRD) dans la revue spécialisée « Pour la Science » : « La forte capacité des deux espèces à se déplacer sur l’ensemble de la côte, voire dans l’ensemble de l’Océan Indien, montre que la pêche aux squales sera non seulement coûteuse mais aussi inefficace.

Le prélèvement pourrait même produire l’effet inverse de celui recherché : « On risque de prélever des requins plutôt côtiers, ce qui pourrait laisser le champ libre à des requins plus pélagiques, tels le requin tigre. Par ailleurs, une traque des requins pourrait compromettre le programme de recherche CHARC ».

La Réunion est une île ouverte sur l’océan qui continuera à accueillir des requins venus du large. Que peut-il y avoir de raisonnable à “réguler” à l’aveugle une espèce dont on sait que les populations à l’échelle mondiale sont en chute libre ? Qui est capable de déterminer combien de requins il faut tuer pour assurer la sécurité des usagers de la mer ? La Réunion va-t-elle devenir une impasse mortelle, un triangle des Bermudes, pour les requins de l’Océan Indien ??

Aujourd’hui, la raison a perdu tout droit de cité et nous assistons à un véritable hold-up sur ce dossier qui nous concerne tous mais qui a été phagocyté par une poignée d’individus, peu représentatifs de la population réunionnaise, regroupés sous la coupelle de deux associations de surfeurs, éventuellement aussi pêcheurs ou chasseurs sous-marins : Océan Prévention Réunion (OPR) et Prévention Requin Réunion (PRR). Ces partisans des battues de requins sont aujourd’hui les seuls à obtenir de l’Etat une oreille attentive, pour des raisons qui laissent perplexes.

L’État français, depuis le début de cette « crise », va à l’encontre des recommandations de ses propres scientifiques et de l’avis unanime des spécialistes des requins. Dans le même temps, il maintient la Réserve naturelle nationale marine de la Réunion dans une obligation de mutisme alors qu’elle est attaquée publiquement.

La situation est devenue tellement ubuesque qu’il est aujourd’hui question de valider le projet CAP REQUIN (programme de pêche). Pêcher le requin aux frais de l’Etat (et donc à nos frais) est si lucratif pour les heureux élus que les pêcheurs locaux en sont déjà à se disputer le bout de gras dans la presse réunionnaise. 
En effet, la pêche des 90 requins récemment condamnés par le préfet représente une aubaine si juteuse que d’aucuns envisagent déjà l’abandon de toute autre activité: « Ça rapporte plus que de chasser l’espadon ou le thon », entend-on déjà ! A 900 euros le requin – destiné à l’équarrissage (!!) – plus 700 euros la sortie de pêche, soit 1600 euros net, auxquels s’ajoute les « prises accessoires », on le conçoit aisément. Combien de français ne gagnent pas une telle somme en un mois de labeur !

Alors c’est la curée, et chacun veut sa part du gâteau… La chasse aux sorcières est ouverte : 45 requins bouledogue et 45 requins tigre – espèces dont le statut IUCN est “quasi menacé”- sont ainsi promis à une mort certaine. Une décision unilatérale aux relents moyenâgeux, prise par un préfet qui avoue lui même ne pas savoir où il va, sans aucune consultation publique, sans aucune validation scientifique et avec des deniers qui ne lui appartiennent pas. Tout le monde sait bien que la mort de ces 90 individus (hors taxe) ne règlera pas le problème. La chasse aux requins relève donc de l’offrande sacrificielle sur l’hôtel du clientélisme, ce qui permet de s’interroger sur le réel développement de notre société dite « civilisée ».

La direction choisie par l’Etat dans ce dossier pose des questions graves en termes de démocratie auxquelles nous sommes en droit d’obtenir des réponses :

1: Pourquoi, alors que ses propres scientifiques – l’IRD en charge du programme CHARC, et la Réserve nationale marine – affirment qu’il n’y a pas de surpopulation de requins avérée aux abords de l’île, l’Etat choisit-il de donner foi aux quelques surfeurs, pêcheurs et chasseurs sous-marins d’OPR et PRR ? Ces mêmes chasseurs sous-marins ont été exclus de leur terrain de jeu favori lors de la création de la Réserve nationale marine en 2007, ce qui remet fortement en question leur impartialité. Pourtant l’Etat semble leur accorder d’avantage de crédit qu’à ses propres scientifiques !

2: Pourquoi, alors que les conditions propices aux accidents et les stimuli anthropiques qui attirent les requins près des zones de surf et de baignade sont CONNUS depuis longtemps (eaux troubles et/ou polluées, arrivées d’eaux douces, rejets organiques en particulier déchets de poissons, dégradation des écosystèmes coralliens…), l’Etat et les communes ne portent-ils pas leurs efforts sur le traitement des eaux usées et sur la gestion des eaux pluviales, préalables incontournables à la restauration de l’écosystème, ainsi que sur le développement des moyens d’information et de prévention des risques ? Prendre le problème à la racine au lieu d’en attaquer les symptômes, est le seul moyen d’aboutir à une sortie de crise durable.

3: Pourquoi, alors que le comité scientifique de la Réserve nationale marine affirme qu’il n’y a pas d’augmentation significative de la biomasse (autrement dit pas plus de poissons) dans la réserve marine, l’Etat ne met-il pas celle-ci hors de cause lorsque les chasseurs sous-marins notamment l’accusent d’être un garde-manger pour les requins ? Ces mêmes chasseurs, qui préconisent aujourd’hui comme remède de “réinvestir la colonne d’eau” – en omettant soigneusement de préciser qu’ils ont déjà accès à des zones de pêche dans la Réserve nationale marine et que cela n’a jamais empêché les attaques -, sont largement responsables de la dégradation et de la perte de biodiversité des écosystèmes coralliens de la Réunion. Pourquoi, alors qu’elle essuie les foudres publiques de ses détracteurs qui ne se basent sur aucun argument scientifique tangible, la Réserve nationale marine est-elle muselée par l’Etat ?

4: Pourquoi, alors que partout ailleurs (notamment au Mexique, en Afrique du Sud, en Australie, à Hawaï, aux Bahamas…), la présence de requins, notamment de requins tigre et requins bouledogue représente un levier économique considérable pour le tourisme et le secteur de la plongée, la psychose ambiante à la Réunion, véhiculée par les associations OPR et PRR et par certains chasseurs sous-marins parvient elle à empêcher d’office toute exploration dans cette direction? Le tourisme lié à la plongée est pourtant générateur de profits, et bénéficie à un panel de population beaucoup plus large que le tourisme lié au surf.

5 : Pourquoi, alors que la population de la Réunion a toujours été fondamentalement opposée à toute forme d’élimination de ses requins et à toute atteinte à sa réserve marine et alors que ses presque 900 000 habitants n’ont jamais été consultés sur des points aussi cruciaux, l’Etat se permet-il de sacrifier son patrimoine marin au bénéfice exclusif de la poignée de surfeurs/pêcheurs/chasseurs regroupés sous les associations OPR et PRR qui menacent, insultent et traitent à l’envie d’assassins et de nazis, représentants de l’Etat, élus, scientifiques de l’IRD, représentants de la Réserve nationale marine, écologistes, bref tous ceux qui ont l’audace de ne pas se plier à leur diktat.

Enfin, il est IMPENSABLE que dans un Etat de droit, un programme comme CAP REQUIN défendu par les associations OPR et PRR (et pensé par différents acteurs de la pêche et de la chasse sous marine à la Réunion), qui prévoit la destruction à long terme de populations de requins (par des pêcheurs privés), puisse être financé par l’Etat et donc par l’argent public. Un tel programme de pêche ne repose sur AUCUNE logique scientifique et va à l’encontre de la raison et de l’intérêt commun. Comment la France pourrait-elle cautionner et financer un tel projet ?

La gestion catastrophique de cette crise par l’Etat français est déjà en train d’entacher l’image de la Reunion à l’étranger. Dans la presse internationale, George Burgess, célèbre expert en requins du musée d’histoire naturelle de Floride le prédit déjà : « C’est une réaction archaïque, un réflexe qui semble plus porté par la vengeance que par la science… Cela va probablement leur exploser au visage parce que la plupart des gens qui visitent La Réunion ont une éthique de la conservation bien plus sophistiquée que les autorités ne semblent le penser. »

Nous soussignés, citoyens réunionnais, citoyens français, citoyens du monde et associations, exigeons que l’Etat français revoie sa copie, motive ses prises de décisions par des arguments scientifiques valables, et cesse de sacrifier les intérêts essentiels du plus grand nombre aux intérêts superflus de quelques-uns.

Une réserve marine intègre, un écosystème marin riche et équilibré, un récif corallien en bonne santé, tel est l’intérêt commun, tel est le patrimoine mondial de l’Humanité que l’UNESCO a choisi de reconnaitre en 2010, celui qui servira à l’épanouissement économique, culturel et environnemental de la génération actuelle et des générations futures. Et qui fera rayonner l’image de La Réunion à l’international. C’est cela que l’Etat français se doit de protéger en priorité. Or c’est cela qu’il est en train de sacrifier !

En 1968, Romain Gary publiait dans Le Figaro, sa fameuse “Lettre à l’éléphant”. Des mots qui quarante ans après, n’ont jamais résonné avec autant de vérité. Une vérité philosophique devenue aujourd’hui une vérité scientifique et empirique. Une vérité que ceux qui ont la charge de veiller sur notre intérêt commun n’ont pas le droit d’ignorer : « Il n’est pas douteux qu’au nom d’un rationalisme absolu il faudrait vous détruire, afin de nous permettre d’occuper toute la place sur cette planète surpeuplée. Il n’est pas douteux non plus que votre disparition signifiera le commencement d’un monde entièrement fait pour l’homme. Mais dans un monde entièrement fait pour l’homme, il se pourrait bien qu’il n’y eût pas non plus place pour l’homme. »

Auteurs et premiers signataires du manifeste :

Sea Shepherd – Vie Océane – Longitude 181- Fondation Brigitte Bardot – Association de Sauvegarde d’Etang Salé les Bains – ASPAS – Apnée Reunion Loisirs- Vagues -Requin Integration Reunion- Tendua.

 

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