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Cari le z’os, grain d’jacques, cari cœurs d’cannes, zoiseaux… : nos délices d’antan

Souvenirs, souvenirs... Manger à tout prix !

Ecrit par Jules Bénard – le dimanche 26 mars 2017 à 20H47

Bien de nos familles réunionnaises actuelles ne mangent toujours pas à leur faim. Je pense que ce sont elles qui comprendront mieux, alors, pourquoi, en ces époques reculées, années 50-60 et des poussières, nous courions comme des forcenés derrière tout ce qui peut tomber sous la dent.

Sardines èk tomates poc-poc

Il n’était pas rare que certains se partageassent une boîte de sardines à l’huile le soir. Un gros tas de riz « mangalore » (le moins cher, le plus puant !) une sardine (ou une demie, c’était selon), quelques gouttes d’huile sur le riz et une bonne poignée de piment crasé pour faire descendre cet ordinaire vraiment ordinaire.

Lorsqu’on avait un brin de chance, on avait droit à un rougail tomates poc-poc volées dans le champ de cannes du voisin ou des tomates à demi-vertes profitant de l’humidité entourant la roche-à-laver !

Nous étions encore veinards dans notre dénuement. Les sardines étaient encore au nombre de 4 et étaient encore gorgées de vraie huile d’olive !

Lorsque maman était de bonne humeur, elle nous autorisait à rouler une boule de riz dans la boîte « mais totion zot doigts marmailles! »

Plus jamais de Pilchards ! Juré !

Aujourd’hui, les sardines anémiques s’ébattent mollement dans ce poison qu’est l’huile de palme et il n’y en a souvent plus que deux. Bannir l’expression « serrées comme des sardines ».

A cette époque bénie (?), le Pilchard n’était pas cher et entrait souvent dans la composition des menus désargentés. Depuis, je déteste les Pilchards. J’ai juré de ne plus jamais en manger et j’en connais plus d’un qui le dit. Les familles avaient déployé des trésors d’imagination pour rendre les repas comestibles à défaut d’être mangeables. Les dimanches ensoleillés, une sauce sardines était un régal aujourd’hui inconnu. C’est pourquoi j’affirme que les familles pauvres sont souvent meilleures cuisinières, avec cet art de faire passer même l’innommable.

Steacks de carne… très tendres

Cette débrouillardise avait conduit Mémé Anéa à inventer le biftek de jarret. Filet et faux-filet, tranche fine ou grasse, c’était hors de pris ; Mémé achetait du jarret. Elle le découpait en tranches fines qu’elle écrabouillait aussitôt au calou. Attendri par ce remède de choc, la viande était ensuite aspergée d’huile d’olive Plagniol (en petites flasques en fer-blanc) puis assaisonnées de sel, poivre, thym en abondance.

Suite à quoi le bœuf était disposé sur le dessus du buffet de cuisine toute une nuit. C’était si tendre le lendemain que cela aurait pu se découper à la cuillère. D’aucuns disent « en remuant les oreilles ».

Et comme nous n’avions pas tous les jours de grains secs (malgré leur prix modéré), nombre de familles avaient inventé le cari grains d’jacques. Imaginez une purée de marrons assaisonnée en cari…

Ou alors, délicieux, fin du fin, les steacks étaient accompagnés de cari cœur de cannes. Qui connaît encore ? C’était très facile à mitonner mais foutait les planteurs de cannes dans des rages folles car on ne leur demandait JAMAIS la permission de piller leurs cultures, pensez !

D’abominables caris cœur d’cannes

Ces expéditions/ravitaillement se déroulaient exclusivement par nuit noire, on l’admettra aisément. On avisait un champ pas trop loin, plein de jeunes pousses grasses, pleines de sève, les plus comestibles, cela va de soi. On les coupait à ras du sol ; les ménagères ôtaient les feuilles et les premières enveloppes, pour ne garder les jeunes cœurs de cannes. Ces derniers étaient ébouillantés à l’eau salée  » po tir sa t’y gratte gosier  » et étaient accommodés avec un oignon, une tomate, et une sacrée poignée de piments bien rouges.

Pour ce qui est des protéines, c’était une autre paire de manches.

Lorsque le boucher-charcutier abattait une malheureuse bestiole, les plus pauvres faisaient la queue dès trois heures du matin. Non pas pour acheter de la viande mais pour récupérer ce qui pouvait l’être sans bourse délier.

Caris le cuir boeuf

C’était à qui repartirait avec les os, la tête (même sans cervelle, il y a toujours quelque chose dedans) et… la peau. Pour les os, pas de problème : assaisonnés avec un oignon et beaucoup de piment, cela donnait au moins une sauce qui baignait bien nos larges gamelles de riz. Pour la peau…

Il est bon de savoir que si peau de porc est bien connue pour fournir d’excellents caris, celle du bœuf ne lui est pas en reste. Elle nécessite cependant un traitement plus vigoureux. Plus musclé.

La peau est d’abord étalée, poils en l’air, sur une vaste place plate. On l’ébouillante et on la gratte férocement, ce qui l’attendrit déjà un brin. Puis on lui tanne le cuir mais pas au sens littéral. Loin de l’art du tannage ancestral, on lui cogne dessus de toutes ses forces et tout le monde s’y met. Calous, gros galets, talons de souliers, tout était bon pour attendrir cette foutue barbaque.

Après quoi, découpée en tout petits bouts, elle était mise à bouillir sur feu de bois jusqu’à obtention d’une consistance acceptable. Cela donnait de curieux caris, certes, mais c’étaient des protéines, de la viande, cette viande dont nous étions privés la plupart du temps.

C’est pourquoi je vous ai expliqué par ailleurs combien étaient délicieux les « caris la graisse » de nos cantines.

Les Créoles ont inventé le hamburger, si !

C’est dans ces époques reculées que des Créoles inventifs avaient créé le hamburger avant la lettre. C’était réservé à ceux qui avaient la chance d’acheter un bout de bœuf, même dans les bas morceaux.

Cette viande était hachée au sabre-à-cannes. Quelques sous permettaient d’acquérir un vrai pain… à savoir des macatias.  La viande était assaisonnée de sel, piment. Vous voyez la suite… En guise de verdure, quelque feuilles de salade subtilisées dans un jardin des environs au hasard de quelque innocente promenade (ouais, tu parles !) Viande bien frite, salade attendrie dans la même huile. La sauce de nos hamburgers était simple : la pâte des piments que l’on venait de pilonner, une tomate poc-poc les jours de veine. Je vous jure qu’aucun hamburger actuel ne lui arrivera jamais à la cheville : pauvres peut-être, mais nous savions au moins ce que nous engloutissions.

Nous devrions demander des droits d’auteur à Mc Donald.

Tangues èk z’anguilles-la-boue

Jamais les tangues n’eurent autant la vogue qu’en ces époques de dénuement. Une vogue dont ils se seraient bien passés car nous leur menions une existence des plus pénibles.

Il faut dire que chaque ravine (il y en a plus de 250, je crois ?) avait sa colonie de hérissons-pays. Ils avaient à peine le temps de prendre de l’âge, les malheureux.

Certains, dégoûtés de ce plat, allaient quand même à la chasse tangues pour les revendre. Mais c’était rare.

D’autres s’étaient spécialisés dans la pêche et la revente de z’anguilles-la-boue. Il faut dire que nous avions de la chance dans notre malheur : alors que l’homme n’avait pas encore bousillé la planète, il y avait de l’eau dans nos ravines et même de petits bassins bien pratiques les jours d’école buissonnière.

Z’oiseaux de toutes sortes, allez hop !

Comme ces cours d’eau charriaient sans cesse une eau assez boueuse, les anguilles prenaient un goût de vase dont nous nous foutions comme de l’An-40 : c’était bon, un point c’est tout. Surtout avec une petite pointe de massalé et une grosse pointe de piment-martin.

Tiens, à propos de martins… C’est une race solide, une bande de pillards insolents mais qui ne risquent pas d’être menacés d’extinction. Sinon, la quantité de martins que nous avons mangés (les moineaux aussi, d’ailleurs), il ne devrait pas en rester un seul dans l’île !

Au passage, lorsqu’un cardinal, un bélier, un bec-rose, un chacouatte passaient dans notre champ de vision, ils finissaient en sauce-piment. Sans l’ombre d’un remord, je vous assure.

Quant au vieux Louis, de La Rivière, un philosophe ne travaillant jamais mais ne manquant jamais de tabac (on en plantait beaucoup alors à La Rivière) qui squattait notre garage d’où toute voiture avait disparu… devinez son cari préféré ?

C’était écoeurant pour nous mais le faisait saliver quand il les mitonnait sur feu de ziques : les couleuvres.

Bon appétit !

 

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