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Avant la télé… (2ème partie)

Nous n’avions la radio que trois heures par jour. La télé n’est arrivée qu’en décembre 1964 et coûtait les yeux de la tête. Internet était dans les limbes. Le téléphone portable était un rêve de cinglé. Pas de playstation, pas de textos, aucun selfie dans les parages ! A quoi donc les jeunes des 50’s/60’s pouvaient-ils bien passer leur temps ? Ils ne s’ennuyaient pas un peu ? Réponse : JAMAIS ! J’étais persuadé que j’allais tout vous raconter en une seule fois, dans cette première partie qui semble vous avoir titillé et excité vos propres souvenirs. C’était compter sans notre imagination de gamins dépourvus de tout sauf d’imagination. Et de malice. Vous suivez ?...

Ecrit par Jules Bénard – le dimanche 04 juin 2017 à 14H41

On adorait  » jouer la guerre « , aux cowboys, si vous voulez, mais pas que. Férus de Dumas et de ses héros ferrailleurs, on ne détestait pas se transformer en Mousquetaires de monsieur de Tréville ou en Gardes du Cardinal. Ces derniers étant assurés de prendre leur tannée avec les quatre indomptables.

Chapeaux de cowboys, plumets de mousquetaires !

La place la plus convoitée était celle de Charles Baatz Castelmore, chevalier d’Artagnan. A lui le « trucidage » de 6 coquins en même temps et le repos du guerrier dans les bras de Constance Bonacieux.

Une tige de pêche pas trop épaisse, dont on enlevait l’écorce sauf une petite partie servant de poignée d’épée, l’affaire était entendue. Si quelque panoplie rescapée d’un ancien cadeau était encore d’aplomb, c’était encore mieux. Les chapeaux, on en avait toujours : il s’en vendait chez Ah-Ton, tout près. Il s’agissait d’imitations de feutres de cowboys marqués « Indiana, Ohio, Texas, Nevada » servant aussi bien aux plaines de l’Ouest qu’aux cavalcades dans les fossés du Louvre.

Pour les plumets, aucun souci : il y avait les dindons chez Mâââme Georges, qui nous prêtaient (?) quelques belles plumes. De bonne grâce, ça, je ne saurais en jurer. Et vas-y que je te ferraille à qui-mieux-mieux. A se demander comment nous ne nous sommes pas arrachés les yeux…

Modeste et Pompon…

Nos copines étaient plus réticentes à prêter leurs traits aimables aux donzelles du 17è siècle. Si Liliane se glissait sans rougir dans les traits de la Bonacieux, elle prisait moins de se retrouver dans un fourré avec son d’Artagnan akoz na d’coups té qui passe la main où té qui fo pas.

Sa sœur Jacqueline goûtait encore moins de devenir une Milady de Winter destinée à finir à tous les coups sous l’épée d’un Athos comte de La Fère vengeur de toutes les humiliations dues à la maléfique espionne du Cardinal.

Si nous n’avions aucun mal à nous glisser dans ces oripeaux d’aventuriers hors pair, c’est que nous lisions. Enormément.

Restés sans le sou après la disparition prématurée de Papa, nous avons continué à avoir des livres chaque année. D’abord parce que nous courions les distributions de prix où nos bons résultats en français étaient juteux. Et puis, il y avait Mémé Anéa et Pépé Justinien, de Saint-Joseph. Ces deux Vieux-là savaient que rien ne nous plaisait tant que les collections Marabout Junior et Bibliothèque verte.

Aux étrennes, toujours, il y avait ces paquets ficelés d’un joli ruban rose, de merveilles achetées chez Ganowsky. Il y avait les Bob Morane, les Nick Jordan, Jules Verne, Dumas, Haroun Tazieff, Tintin, Spirou, Bob et Bobette et monsieur Lambic, Quick et Flupke, Modeste et Pompon… De quoi nous tenir en haleine grâce à cette modeste pension d’instituteur de la Coloniale de mon Pépé Justinien.

Buck John, Zembla, Blek-le-Roc… à l’italienne

Pour les  » petits Mickey « , à savoir les petits livres de cowboys, c’était plus simple. Notre mère réussissait, chaque fin de mois, à nous glisser quelques piécettes CFA car Ah-Ton recevait régulièrement les nouveautés des Editions « Mon Journal », fabriquées en Italie : le shériff Buck John, Kit Carson, Tex Toneaux Colts à l’envers, Jim Ouragan, Bob Tempest, Red Canyon qui tua l’homme l’ayant trouvé agonisant dans un canyon, Hopalong Cassidy aux traits d’Alan Ladd… Il y avait encore Oliver, un Robin-des-Bois au petit pied ; Zembla, Kiwi, Blek-le-Roc, Indien Suarez… Les lectures et modèles de héros ne nous manquaient donc pas.

Nos petits camarades habitant les cases en paille dans les champs de cannes n’étaient pas aussi chanceux. Mais pour être pauvres, ils n’en étaient pas moins amoureux de lecture (heureuse époque où nos instituteurs nous apprenaient à aimer découvrir) et venaient régulièrement chez nous s’abreuver des dernières nouveautés. Les BD de cowboys n’étaient d’ailleurs pas interdites par les instituteurs pour la simple raison… qu’elles étaient écrites en bon français ; ça aidait bien. Serge, Dédé, André, Paul, Georges, Maxime… n’étaient pas plus mauvais que nous en français.

En échange, ils nous entraînaient dans des expéditions de rapines très fructueuses : jacques mûrs, cerises-pays, cerises-Brésil, vavangues… ils savaient mieux que nous où les dénicher sans (trop) de risque. Main-droite-main-gauche…

Collections de Bob Morane entièrement volée

Je rectifie tout-de-suite une erreur : pour Bob Morane et Nick Jordan, de chez Marabout Junior, il est juste de dire que ma collection, comme celle de quelques potes, a été entièrement volée. Mea culpa, mea maxima culpa…

Les aventures de ces invincibles héros arrivaient chaque mois à la librairie Cazal, laquelle se trouvait un peu plus loin que l’angle Juliette-Dodu/Alexis-de-Villeneuve où elle s’est agrandie plus tard. Ti-Jean Chassagne, autre amateur, prévenait les pensionnaires que nous étions au vieux lycée, des arrivées toutes fraîches.

« Té banda na, La Voix du Mainate l’arrivé !  » C’était la ruée chez Cazal au jeudi après-midi suivant.

Les nouveautés étaient disposées sur un rayonnage parallèle à la rue de Villeneuve, côté invisible pour la brave dame recevant les clients. Quelques copains allaient la distraire pendant que les Bob et Nick disparaissaient dans les vestes (malgré la canicule). Je pense que depuis, il y a prescription. Je me demande si notre pote Philippe Baloukji, condisciple au lycée, dont le papa était responsable de la librairie, ne se doutait pas de quelque chose…

« Charroye ciment, la sab’, graviers, tout-venant… »

Je songe souvent à la vie de nos petits camarades les plus pauvres. Ils avaient certes moins de loisirs que nous, souvent aux champs, sinon à construire quelque chose d’utile pour leur famille. C’était courant.

Dans la moyenne campagne, plein pays yab, ils étaient aux champs ou à aller rôde manger cochons. Sur la côte, les occupations étaient plus variées. Comme garder les cabris par exemple.

Il était une tradition, celle de la boîte Guigoz (lait en poudre bien connu, sans publicité). Chaque gardien de troupeau avait une vieille boîte métallique avec un ou deux galets à l’intérieur, servant à battre le rappel des ouailles. Car chaque main avait sa façon de secouer l’ustensile et les cabris reconnaissaient  » le patron «  ou  » la patronne «  et accouraient aussi sec.

Garder les cabris n’était pas le plus dur pour nos petits potes. C’était une autre farine quand le papa décidait d’agrandir la modeste case. Françoise, de Tanambo, Terre-Sainte, se souvient :

« Papa té qui trouvait in ami navé in’ camionnette, pou amène tout-venant jusque dan’ bord d’chemin. Après, c’était nous, les filles, (NDLR : le pauvre n’avait que des filles, 8 au total !) nous té qui déchargeait la camionnette et qui portait le tout-venant jusque derrière la case. »

« Sinonsa, c’était de sable qui fallait charroyer par seaux. Et attention i fé tombe le sab’ à terre ! Baisement té assuré. Na d’coups aussi, i fallait porte sacs ciment de 50 kilos. I fallait 2 pou porte in sac. Té i serre déièr la cuisine, i mettait feuille tôle dessus pou embarr’ la pluie. »

« Nous té là aussi po mélange béton. I fallait connaît’ té quoué mortier gras, mortier sec, té pas pareil. Après, nous té coule le mur, coule la dalle, le parquet. Akoz Papa i faisait lu-minm son case ! »

« Quand la pièce té finie, i fallait encore fé le crépi. Lété dur, lété fatiguant, mais nous la apprend’ in tas d’z’affairs comm’ ça ! »

« Na d’coups, nous té sava rôde grains d’badamiers par ballots pou fé la colle èk le grains. Pou colle papiers journal su l’mur. »

Ce n’est jamais sans émotion que je songe à la vie de ces petits potes qui venaient, à leurs moments libres, plonger dans nos malles de bouquins. Je regardais leurs mains, calleuses avant l’âge. Je comprends mieux aujourd’hui les valeurs qu’ils m’ont inculquées à leur corps défendant. Ils sont là dans mon cœur.

Charançons, fourmis grand-galop èk camaléons

Certains de ces copains avaient parfois un bien étrange boulot à accomplir en guise de passe-temps… Quand les Papas touchaient leur quote-part du colonage, pas grand-chose, ils s’empressaient de courir chez le Chinois acheter plusieurs balles de riz. C’était toujours ça de pris.

Mais ce riz était en butte aux charançons et mes potes avaient pour tâche, au moins une fois par mois, de vider entièrement ces sacs. A la suite de quoi ils prenaient ce riz (fâné sur un goni) poignée par poignée, et le triaient à la lueur de la lampe, à s’en péter les prunelles, écartant les grains du bout du doigt, larguant les indésirables bestioles dans une moque remplie de pétrole en flammes. C’était ça AUSSI les distractions et passe-temps des gosses pauvres des fifties/sixties.

Dans ces années-là, les campagnes étaient surtout en proie à une misère noire. A l’intention des grincheux de tout poil, je précise donc que je ne fais nullement l’apologie de quelque « bon temps » que ce fût. Ce n’est qu’un récit.

Ah oui ! avant de finir, je ne voudrais pas oublier les souvenirs de mon pote François Folio… Ce coquin, comme bien d’autres, s’amusait à jouer avec les fourmis grand-galop : on les attachait ensemble avec un fil à coudre et on les regardait s’ébattre désespérément. Ou alors, on « collait » des « camaléons » dans la gueule desquels on enfournait un mégot allumé.

Les caméléons ont cette particularité qu’ils avalent la fumée mais ne la soufflent pas ! Ils bondissent… paf ! paf ! paf !… et boum ! explosent en plein vol. Les joies de l’esprit, comme dit Talon, sont tout-de-même les plus belles. Mon amie Ohana va encore me vouer aux Gémonies.

A la prochaine pour explorer d’autres domaines de nos si précieux souvenirs.

1ère partie : [Avant la télé, playstation, textos et autres selfies… à quoi s’amusaient les jeunes ?]urlblank:http://www.zinfos974.com/Avant-la-tele-playstation-textos-et-autres-selfies-a-quoi-s-amusaient-les-jeunes_a114720.html

[Le Zinfos Blog de Jules Bénard]urlblank:http://www.zinfos974.com/julesbenard/

 

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