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Analyse sans complaisance d’un cadre sur la situation d’Air Austral

A l'origine, ça devait n'être qu'un simple courrier des lecteurs. Mais devant la pertinence des arguments avancés par quelqu'un qui maîtrise apparemment parfaitement son sujet, nous avons décidé de lui donner une meilleure visibilité en le publiant au fil de l'eau. La rédaction de Zinfos

Ecrit par Zinfos974 – le mercredi 21 juin 2017 à 15H42

Les grèves se durcissent et se multiplient à Air Austral, où un nouveau conflit est en perspective pour la fin du mois. D’ici là, la Direction arrivera peut être à désamorcer l’affaire, mais nous sommes nombreux désormais à craindre le pire pour notre Compagnie. Nous avons connu les affres de la faillite au début des années 2010, et nous redoutons une nouvelle épreuve de ce genre sachant que, cette fois-ci, il sera difficile de compter sur l’aide du contribuable.  

Le public réunionnais n’a pas conscience de la réalité de la situation en raison de l’information orientée dont fait l’objet la Compagnie, dans l’ombre de son puissant actionnaire.
 
Avant tout, l’objectivité commande de rappeler que, depuis sa création, Air Austral est totalement livrée à « l’inspiration » de son PDG et du Président de Région, sans aucun contrôle de qui que ce soit. Il n’y a quasiment plus d’actionnariat privé dans la société, et le Conseil d’Administration est à la botte du Président de Région. Dans le transport aérien, où les dirigeants perdent vite le sens de la mesure et où les équilibres financiers sont fragiles, cette situation est très dangereuse.
 
Aujourd’hui, « MaJo » Malé est à la manœuvre. C’est l’archétype du brillant technocrate, qui n’a cependant pas fait la preuve, après 4 ans d’exercice à la Compagnie, qu’il a l’ADN d’un véritable « entrepreneur ». Il n’échappe à personne qu’il a saisi l’occasion rare qu’était Air Austral – à la dérive en 2012 – pour servir son ambition, dans un but évident: se forger l’image, dans le petit monde du transport aérien français, de redresseur de compagnie en difficulté. Et il est en train de réitérer avec Air Madagascar, en s’appuyant cette fois sur Air Austral et sur la Région Réunion.
 
Dans ce genre de démarche, l’image que l’on renvoie et la maitrise de la communication sont des aspects essentiels.
 
De fait, ces dernières années, la Direction a occupé largement la scène médiatique, se félicitant à chaque occasion des résultats obtenus, et multipliant les démonstrations de dynamisme et de modernité (prise du leadership régional au sein des Iles Vanille, nouvelle livrée des avions, renouvellement des uniformes etc…). Tout cela afin d’accréditer l’idée qu’après avoir évité de peu la faillite, Air Austral a été reprise en mains et remise sur la voie de la rentabilité durable et du développement.
 
Cependant, la lecture sans complaisance des résultats comptables de la période écoulée conduit à des conclusions un peu plus nuancées:

 

Analyse sans complaisance d'un cadre sur la situation d'Air AustralOn observe que:
 
1/ Air Austral a retrouvé l’équilibre économique dès la fin 2013 (exercice FY14), suite à l’abandon des lignes long-courrier déficitaires et à la gestion rigoureuse imposée par les créanciers (sous leur contrôle);
 
2/ ensuite, la situation a évolué cahin-caha: la Compagnie a pu conserver un semblant d’équilibre (selon la ligne de résultat où l’on se place), grâce au contexte très favorable des années 2015 et 2016, à savoir:
– la baisse très importante du prix du carburant (effective à compter de fin 2014);
– la bonne tenue du marché des passagers aériens (le trafic de Gillot a progressé de +100.000 passagers en 2 ans), avec maintien des tarifs à des niveaux élevés en raison d’une offre insuffisante (toutes compagnies confondues, les remplissages se sont stabilisés aux alentours de 90%).
 
Mais, en même temps, la gestion a perdu de sa rigueur. En effet, l’examen des principaux ratios mesurant la performance économique (notamment le coût au siège-kilomètre hors carburant) montre que la productivité économique s’est dégradée de près de 10% en 2 ans. Cette détérioration de la productivité est considérable: pour fixer les idées, les compagnies concurrentes s’échinent à négocier des plans d’amélioration de la productivité…de seulement 1,5% par an.
 
A vrai dire, ce sont les revenus exceptionnels provenant des plus-values dégagées de la vente des avions achetés sous l’ère Ethève (B737 et ATR) qui ont permis d’afficher des bénéfices nets pour les exercices FY15 et FY16.
 
Mais, pour les exercices à venir, il faut garder à l’esprit que le filon est désormais tari, car il ne reste plus rien à vendre…
 
En résumé, il n’est pas outre mesure exagéré de penser que l’équipe dirigeante d’Air Austral est en train de conduire la Compagnie vers une crise majeure.

En effet:

– soit Air Austral garde le cap actuel. On peut alors craindre qu’à compter de 2018, dans le nouveau contexte concurrentiel marqué par l’arrivée de French Blue, elle perde quelque 20M€ par an. La question qui se pose alors est: Pendant combien de temps la Sematra sera-t-elle autorisée à renflouer les caisses… Même s’il ne fait pas de doute que, mis devant le fait accompli, les Eéus de tous bords seront d’accord pour voter les subventions nécessaires « au nom du personnel et de la sauvegarde de l’emploi »?.
 
– soit la Compagnie se réforme, pour répondre aux attentes du marché. Cela l’obligera à revoir son organisation au sol et surtout à dénoncer les accords particulièrement déproductifs que Mr Malé a signés avec les navigants. Dans ce cas, la question est: L’équipe en place aura-t-elle mandat pour procéder à cette purge et, surtout, en aura-t-elle le courage?
 
Dans tous les cas, du sang et des larmes en perspective… C’est ce que redoute aujourd’hui un certain nombre de cadres de l’Entreprise, qui ne veulent pas être pris en otage pour satisfaire les ambitions d’une poignée d’apprentis sorciers.
 
En dehors de l’aspect économique, 3 autres points méritent d’être soulignés:
 
1/ sur le plan capitalistique, la Compagnie a été « nationalisée » dans l’urgence en 2012 afin d’éviter le dépôt de bilan. Pour de multiples raisons tenant à la nature de l’activité et aux règles de la libre concurrence européenne, cette situation ne pouvait se concevoir qu’à titre transitoire. Mais force est de constater, 5 ans plus tard, que MM. Malé et Robert n’ont pu convaincre aucun investisseur privé à venir au tour de table.
 
De surcroît, le principe d’une nouvelle et importante augmentation de capital a été voté lors de l’AG 2016, grâce au poids de la Sematra. La légitimité de cette opération – si elle se réalise – est contestable et n’augure pas d’un retour à la normalité d’une entreprise de statut privé.
 
Toutefois, on remarque que près d’un an après l’AG 2016, le lancement de cette augmentation de capital « à risque » n’a pas été initialisé, alors que la Direction avait signalé qu’elle avait urgemment besoin de renforcer sa trésorerie et ses fonds propres. On peut imaginer que les conseils juridiques ont recommandé la prudence, mais que les besoins de trésorerie ont néanmoins été satisfaits, discrètement, par le biais d’une avance en compte courant d’actionnaire de la Sematra.
 
2/ sur le plan social, le climat parait durablement dégradé. Les grèves se multiplient et se durcissent. Le constat est d’autant plus étonnant que, après avoir évité de justesse les licenciements en 2012, on pouvait espérer que le personnel ferait preuve d’une certaine ouverture d’esprit, aidé en cela par la pression concurrentielle qui se fait de plus en plus menaçante.
 
Jusqu’à présent, la Direction et les divers observateurs se sont contentés de considérer que les mouvements d’humeur constatés à Air Austral étaient la manifestation d’un égoïsme corporatiste et/ou d’irresponsabilité de la part du personnel navigant, à l’instar de ce que l’on observe parfois dans les compagnies « nationales » ou « nationalisées », où le personnel a le sentiment d’être à l’abri de tout risque de faillite, et où le moindre conflit remonte à l’arbitrage politique.  
 
Si l’analyse n’est pas totalement fausse, elle reste cependant incomplète car elle ne peut s’exempter de s’interroger sur la part de responsabilité de la Direction dans cette situation. En particulier pour ce qui concerne l’organisation et la rigueur du dialogue social, ainsi que la distribution des rôles entre les différents acteurs de l’entreprise, notamment celui dévolu à l’encadrement (au sol et navigant).
 
Le résultat de tout cela est grandement préjudiciable et hypothèque l’avenir: l’entreprise doit se réformer pour s’adapter aux attentes du marché, mais on ne voit pas comment, dans ce contexte, elle trouvera les accords nécessaires avec les partenaires sociaux.
 
3/ enfin, sur le plan de la stratégie – indépendamment du choix de la « montée en gamme », qui n’apparait pas clairement comme étant l’attente prioritaire du marché – les interrogations se portent aujourd’hui sur la signification de la prise de participation dans Air Madagascar.
 
Compte tenu des ressources financières, matérielles et humaines d’Air Austral, cette opération ne relève d’aucune logique qui puisse s’imposer d’emblée à la réflexion. Elle devrait plutôt contribuer à brouiller un peu plus les cartes, à commencer par l’aspect financier. Mais, dans ce domaine, Mr Malé a montré à Air Austral qu’il avait un certain talent.
 
Car, sur le fond, tous les arguments entendus sur les soi-disant synergies relatives aux moyens industriels, aux réseaux ou au « double-hub », ont du mal à convaincre.
 
Un cadre d’Air Austral, désespérément attaché à sa Compagnie

 

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