Débattue aujourd’hui devant les prud’hommes de Saint-Denis, l’affaire a quelque chose d’inédit. Pour la première fois, un ex-employé d’EDF, aujourd’hui à la retraite, attaque pour « préjudice d’anxiété » son employeur pour l’avoir mis au contact de l’amiante sur son lieu de travail : l’ancienne centrale thermique du Port. Bien que non malade aujourd’hui, Yves Hoarau craint de développer un cancer ou une maladie liée à l’inhalation de particules d’amiante.
Pour son avocate, Me Caroline Chane Meng Hime, l’enjeu de cette procédure dépasse le cadre local. « Il y a un enjeu national« , explique-t-elle. Car les récentes études sur le sujet montrent que l’amiante pourrait tuer 100.000 personnes d’ici à 2050 (Institut de veille sanitaire).
Si Yves Hoarau n’est pas malade aujourd’hui, c’est bien la crainte de développer une maladie grave « du jour au lendemain » qui l’a poussé à introduire cette procédure devant les prud’hommes de Saint-Denis. « Le contentieux porte sur le préjudice d’anxiété. Mon client après avoir travaillé à la centrale thermique du Port a été exposé pendant quinze ans à l’amiante« , poursuit Me Caroline Chane Meng Hime. Pour preuve, Yves Hoareau s’est vu remettre à la fin de sa carrière chez EDF, une attestation d’exposition à l’amiante une fois partie à la retraite. Il faut savoir que la Cour de cassation a reconnu dans ses arrêts plusieurs types de « préjudice d’anxiété » et a déjà donné raison à des salariés exposés à l’amiante.
Manquement de la direction
Son avocate dénonce un suivi médical tardif et un manque de prise en compte du risque amiante sur la centrale par EDF. « Entre 1997 et 2002, il n’y a plus eu de mesure sur la présence d’amiante, et on s’est aperçu entre 2010 et 2013 de sa présence alors même qu’il y avait eu des actions de désamiantage« , souligne-t-elle. Pour Me Caroline Chane Meng Hime il y a eu un « manquement » de la part de la direction d’EDF. « Il est parfaitement légitime de demander une indemnisation pour le préjudice pour anxiété« , explique-t-elle. Yves Hoareau se trouve dans une situation d’anxiété permanente. « Son syndrome anxieux s’aggrave et il se trouve dans un état dépressif« , ajoute Me Caroline Chane Meng Hime. Une situation qui avait entrainé de multiples arrêts de travail pendant la carrière de Yves Hoareau.
En face, la lecture est différente pour l’avocat d’EDF, Me Philippe Toison. « Je ne peux pas nier qu’il y ait eu de l’amiante à la centrale EDF du Port (…). Mais il ne faut pas confondre présence de l’amiante et exposition au risque de voir se développer une pathologie« , explique-t-il.
« M. Hoareau n’a pas développé aujourd’hui de maladie liée à l’amiante« , poursuit-il. Pour Me Philippe Toison, EDF est une entreprise « responsable » qui a toujours veillé à la « santé et sécurité » de ses salariés. A écouter l’avocat d’EDF, le risque de voir Yves Hoareau développer un cancer lié à l’amiante s’avère négligeable. Pour prouver cette démonstration, Me Toison s’est appuyé sur un rapport de l’INSERM (Institut national de la santé et de la recherche médicale) sur les risques de santé liés à la présence d’amiante.
Pas de risque sur la santé
Selon EDF, différents rapports et expertises ont été menées sur le site de la centrale thermique du Port. « Plusieurs prélèvements ont eu lieu (…). En tout, huit fibres d’amiante ont été comptabilisées« , explique-t-il. Un chiffre très loin des seuils de tolérance admis par les autorités sanitaires, selon lui. « C’est l’assurance qu’il n’y a pas de risque sur la santé« , poursuit Me Toison. Pour l’avocat d’EDF, il n’y a pas lieu à retenir ce préjudice d’anxiété et il demande au tribunal de débouter toutes les demandes de l’ancien salarié.
Me Caroline Chane Meng Hime prendra la parole une dernière fois, rappelant que plusieurs anciens salariés d’EDF sont décédés des suites de maladies liées à l’amiante. Yves Hoareau réclame 50.000 euros au titre du préjudice d’anxiété et 20.000 euros au titre du manque de sécurité.
Le tribunal des prud’hommes a mis sa décision en délibéré au 27 novembre.