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À propos de la Commission de l’océan Indien : Une confédération d’États dans l’Indianocéanie

Par André ORAISON, Professeur des Universités, Juriste et Politologue.

Ecrit par – le lundi 24 octobre 2016 à 15H25

Au plan géographique, l’Indianocéanie est un vocable qui désigne couramment aujourd’hui l’ensemble des pays insulaires situés dans le bassin sud-ouest de l’océan Indien : il s’agit des archipels des Comores, des Mascareignes et des Seychelles ainsi que la Grande Ile de Madagascar. 

Mais le vocable Indianocéanie est beaucoup plus que cela. Dès lors, il convient de rendre à César ce qui appartient à César. Le néologisme « Indianocéanie » a été forgé dans la seconde moitié du XXe siècle par l’écrivain mauricien francophone Camille de Rauville pour désigner les populations des pays de l’océan Indien occidental unies non seulement par la proximité géographique, l’environnement océanique et l’insularité mais également par des cultures, des croyances, des traditions et des « langues en partage » comme le créole et le français et une « histoire entremêlée », marquée par des évènements douloureux dont il reste encore des séquelles comme l’esclavage, l’engagisme et le colonialisme. Habité au début des années « 60 » par une vision messianique, Camille de Rauville entrevoit – entre les rivages de l’Afrique orientale et l’Asie du sud – l’émergence d’ « un nouvel humanisme au cœur de l’océan Indien », un humanisme par définition démocratique et solidaire qu’il nomme « indianocéanisme ». 

Concept à l’origine littéraire, né dans « l’île sœur », le concept fédérateur d’Indianocéanie a, par la suite, émergé aux plans diplomatique, économique et juridique, à l’initiative d’un autre Mauricien francophone, journaliste et homme politique engagé. Il s’agit de Jean Claude de l’Estrac qui est, sans conteste, le « Père fondateur » de la Commission de l’océan Indien (COI), une institution intergouvernementale de coopération destinée à donner corps et âme au concept d’Indianocéanisme.  

 

La création de la COI est en effet le résultat d’une initiative mauricienne formulée dès le 10 juillet 1982 peu après l’arrivée au pouvoir à Maurice du Mouvement Militant Mauricien (MMM) et du Parti Socialiste Mauricien (PSM), deux partis de tendance marxiste-léniniste au moment où des régimes progressistes sont déjà en place à Madagascar depuis 1972 et aux Seychelles depuis 1977. Par la suite, la Conférence préparatoire des ministres des Affaires étrangères de Madagascar, de Maurice et des Seychelles réunis à Port-Louis (Maurice) du 18 au 22 décembre 1982 sous la présidence de Jean Claude de l’Estrac, alors ministre mauricien des Relations extérieures, décide d’institutionnaliser la solidarité inter-îles dans le sud-ouest de l’océan Indien : le 20 décembre 1982, les représentants de ces pays adoptent « l’Accord général de coopération entre les États membres de la Commission de l’océan Indien » et s’engagent à le recommander à la signature de leurs États respectifs. 

Certes, le rapprochement entre Madagascar, Maurice et les Seychelles est compréhensible en 1982. Jadis colonisés par des puissances européennes, ces États nouvellement indépendants défendent les mêmes principes et poursuivent des buts identiques au sein des Nations Unies. Mais la situation politique ayant évolué à Maurice à partir de mars 1983 en raison de dissensions entre le MMM et le PSM, puis du retour aux affaires de la droite locale, en août de la même année, cette solidarité s’est quelque peu affaiblie et la création de la COI en a été d’autant retardée. L’Accord général de coopération entre les États membres de la COI sera néanmoins signé à Victoria (Seychelles), le 10 janvier 1984, par les ministres des Affaires étrangères de Madagascar, de Maurice et des Seychelles. 

La COI n’est pas une organisation internationale d’intégration mais plus modestement une organisation internationale de type classique soucieuse, dans l’exercice de ses activités, de respecter les prérogatives régaliennes de chaque État membre. Dans son préambule, l’accord trilatéral fondateur de la COI indique que cette confédération d’États a pour objectif d’établir – dans les respect des souverainetés étatiques – « le cadre d’une coopération rénovée, fructueuse et durable qui s’inspire de la nécessité particulière d’assurer en toute sécurité le développement économique et social à l’intérieur de la région des États du sud-ouest de l’océan Indien ». Dans son article 1er, l’Accord général de coopération précise que la COI a pour mission d’encourager « la coopération diplomatique, la coopération économique et commerciale, la coopération dans le domaine de l’agriculture, de la pêche maritime et de la conservation des ressources et des écosystèmes » ainsi que « la coopération dans le domaine culturel, scientifique, technique, de l’éducation et en matière de justice ». 

Il convient de saluer la naissance de la COI qui permet de franchir une nouvelle étape – si modeste soit-elle – dans le passage d’une société interétatique close à une société internationale ouverte fondée sur la solidarité entre les peuples de l’Indianocéanie. Face au phénomène de la mondialisation des échanges, aucune question importante ne se résout plus à l’intérieur des frontières nationales. Manifestation de l’interdépendance entre les États du bassin sud-ouest de l’océan Indien, la COI a déjà, dans cette optique, le grand mérite d’exister et de concrétiser le rêve de Camille de Rauville. 

Aux trois membres originaires ayant signé l’accord de Victoria le 10 janvier 1984, il convient d’ajouter deux membres admis le 10 janvier 1986 : les Comores et la France. Dès lors, la COI présente un premier élément de particularisme important : elle regroupe quatre États en développement et la septième puissance économique mondiale. L’admission de la France au sein de la COI est un succès diplomatique pour ses dirigeants, dès lors que cet État – principalement européen – est accepté par les États ancrés au voisinage de La Réunion comme un pays authentique de l’océan Indien. En raison de sa présence multiséculaire dans l’Indianocéanie, la France joue un rôle déterminant qui justifie son entrée dans la COI. 

Dans la mesure où La Réunion bénéficie du statut privilégié de région ultrapériphérique (RUP) de l’Union européenne, la coopération inter-îles ne peut que s’épanouir. Parce qu’ils sont souvent confrontés à de graves problèmes politiques, économiques et sociaux, les États voisins ne peuvent manquer de voir dans l’île de La Réunion une aire de stabilité politique et de prospérité économique et, par suite, une pièce maîtresse de la coopération régionale dans l’Indianocéanie. 

Néanmoins, la position de la France n’est pas dépourvue d’ambigüités. Certes, cet État a adhéré à l’Accord de Victoria pour permettre à La Réunion de participer à la coopération régionale dans le cadre de la COI. Mais La Réunion est la seule île française de l’océan Indien occidental dont le statut n’est pas remis en cause par les autres États membres de la COI. Pour ces États, la France ne saurait représenter au sein de l’Indianocéanie des territoires dont la souveraineté est contestée : il existe un conflit franco-malgache sur les îles Glorieuses, Juan de Nova, Europa et Bassas da India qui remonte au 18 mai 1972, un différend franco-comorien sur l’île de Mayotte qui a éclaté le 6 juillet 1975 et un litige franco-mauricien sur le récif de Tromelin qui perdure depuis le 2 avril 1976. 

Ainsi, la COI exclut en 2016 les 250 000 habitants de Mayotte. Cette singularité peut surprendre si l’on admet que le marché de 26 millions de personnes que représente la COI est insuffisant. Le développement ayant besoin d’un champ d’expansion que l’insularité ne fournit pas dans l’Indianocéanie, ne serait-il pas rationnel d’envisager l’élargissement de la COI à d’autres États de l’océan Afro-asiatique ? Si cette question est à ce jour sans réponse, il est utile de préciser que le Conseil des Ministre de la COI a accordé le 26 février 2016 le statut d’État observateur à la Chine. L’Australie et l’Inde seraient aussi intéressées par ce statut. 

Certes, les pays de l’Indianocéanie n’ont pas attendu la création de la COI, en 1984, pour nouer des liens entre eux dans les domaines les plus variés. Mais des écueils nombreux et plus ou moins importants avaient jusqu’ici freiné, sinon empêché, les échanges commerciaux inter-îles. C’est dire que l’une des missions de la COI consiste, autant que faire se peut, à les contourner ou à les surmonter. Pour y parvenir, la COI a pu d’abord compter, au double plan technique et financier, sur une série de traités qui visent à encourager la « coopération économique horizontale » entre les États d’Afrique, de la Caraïbe et du Pacifique – les États ACP – ainsi que la coopération entre États ACP et collectivités territoriales françaises ultramarines. Ces dispositions ont été prévues par les conventions ACP-CEE ou conventions de Lomé (Togo) avant d’être reprises et complétées par l’Accord de partenariat, un accord toujours en vigueur, signé à Cotonou (Bénin) le 23 juin 2000 par les États ACP et l’Union européenne. 

 

Pourtant, la COI n’a pas encore trouvé un rythme de croisière satisfaisant. Dès lors, une coopération régionale dans l’Indianocéanie est-elle condamnée à rester plus proche de l’incantation que de la réalité ? Faut-il s’interroger sur la raison d’être de la COI et parler de marginalisation ou, à la limite, d’échec ? La COI demeure encore pour le grand public un concept flou et lointain. Créée pour contribuer à la prospérité des États membres, la COI reste encore empêtrée dans des difficultés qui sont davantage d’ordre politique et juridique qu’économique et technique. Cette confédération d’États manque souvent de visibilité au niveau de ses objectifs qui sont trop dispersés et, pour la plupart, éphémères. Ses résultats sont encore rares et modestes. Les échanges commerciaux inter-îles restent faibles. Faut-il alors douter de l’avenir de la solidarité régionale dans l’Indianocéanie ? 

Mais sur un autre versant, peut-on faire le bilan de la COI alors même que d’importants travaux de restructuration sont en cours depuis 2012 ? Une réponse négative est donnée par la plupart des observateurs qui insistent sur la nécessité d’un développement de la coopération régionale dans la zone sud-ouest de l’océan Indien. En vérité, les responsables des États de cette région sont condamnés à poursuivre leur coopération au service d’une Indianocéanie toujours plus intégrée, solidaire et prospère. Dès lors, ne serait-il pas judicieux d’envisager, avec Reynolds Michel, « la création d’une citoyenneté indianocéanique, une citoyenneté commune aux ressortissants de nos États insulaires, comme premier pas dans ce processus d’intégration communautaire ? ». 

Faut-il enfin souligner que la disparition de la COI serait préjudiciable à l’ensemble des pays de l’Indianocéanie et d’abord à La Réunion, en sa double qualité de région monodépartementale française des Mascareignes et de région ultrapériphérique de l’Union européenne ? 

 

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