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2015, l’effondrement

Comment tout peut s'effondrer

Ecrit par Dr Bruno Bourgeon, président d'AID – le lundi 04 mai 2015 à 14H28

(D’après un livre de Pablo Servigne et Raphaël Stevens, « Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes », aux Editions du Seuil, collection Anthropocène)
Le livre de Pablo Servigne & Raphaël Stevens est significatif de l’inquiétude qui commence à diffuser. Ils sont les successeurs de Jean-Pierre Dupuy (« pour un catastrophisme éclairé ») et Hans Jonas (« le principe responsabilité »). En voici un condensé.

1) Catastrophe et non catastrophisme
Nous disposons aujourd’hui d’un faisceau de preuves sur l’incapacité de la société humaine à se maintenir. A-t-on vu un réel débat sur le climat en termes de changement social ? Non, bien sûr. Trop catastrophiste. D’une part on subit des discours apocalyptiques, survivalistes, et d’autre part on endure les dénégations des Luc Ferry, Claude Allègre et autres Pascal Bruckner. Les deux postures se nourrissent et ont en commun la phobie du débat, ce qui renforce l’attitude de déni.
Ce livre propose les bases de la collaposologie. Le sujet de l’effondrement de la civilisation est toxique et nous atteint au plus profond. Croire en l’effondrement, « processus à l’issue duquel les besoins de base (eau, alimentation, logement, habillement, énergie, etc.) ne sont plus fournis à une majorité de la population par des services encadrés par la loi », revient à renoncer à l’avenir imaginé.

2) La fin de l’énergie facile
La voiture est l’image de notre civilisation : embarqués dedans, GPS programmé, assis dans l’habitacle, nous oublions la vitesse, l’énergie dépensée et la quantité de gaz à effet de serre produite. Une fois sur la route, seules comptent l’heure d’arrivée, la température de la clim et la qualité de l’émission radio. Mais sans énergie, pas de mouvement. Sans énergies fossiles (EnF), fini la mondialisation, l’industrie et l’activité économique. Les énergies renouvelables (EnR) n’ont pas assez de puissance pour compenser le déclin des EnF, et il n’y a pas assez d’EnF (et de minerais) pour développer les EnR. L’éolien et le photovoltaïque font autant partie de notre système que n’importe quelle autre source d’électricité.
Aujourd’hui le TRE (taux de retour énergétique = rapport de l’énergie produite à l’énergie dépensée pour la produire) minimal pour fournir l’ensemble des services offerts à la population a été évalué entre 12:1 et 13:1. En dessous, il faudra décider des biens et services à conserver. Au début du XXe siècle, le pétrole étasunien avait un TRE de 100:1. Aujourd’hui il est d’environ 11 :1. Les TRE des sables bitumineux canadiens est entre 2:1 et 4:1. Celui des agrocarburants entre 1:1 et 1,6:1. Tous ces TRE sont en constante diminution, car il faut de plus en plus d’énergie pour extraire les ressources qui se raréfient.
Le facteur limitant pour l’avenir de la production pétrolière est moins le TRE que le temps que notre système économique interconnecté peut tenir. Sans un système financier, il n’y a plus d’énergie facilement accessible. Et sans énergie accessible, fin de l’économie, des transports rapides, des chaînes d’approvisionnement longues et fluides, de l’agriculture industrielle, du chauffage, du traitement des eaux usées, d’Internet, etc…

3) Le basculement du climat
Avec + 2°C, la production agricole indienne diminuera de 25 %, provoquant une famine jamais vue. Au Bangladesh, le tiers sud – où vivent 60 millions de personnes – sera noyé sous les flots. On devra décider qui peut être sauvé. Plus les pénuries alimentaires dues au réchauffement se feront sentir, et plus il sera difficile de conclure des accords internationaux.
Selon James Lovelock, si le taux de CO2 atteint 500 ppm ou plus (nous avons atteint 400 ppm le 9 mai 2013), la grande masse de la surface terrestre se transformera en désert et en brousse, laissant un reste de civilisation à quelques millions de personnes au Groenland.

4) La complexité fait la vulnérabilité
A cause du verrouillage des alternatives par le système technique dominant, il est difficile d’envisager une contraction contrôlée du système économique. La puissance et l’omniprésence de ces verrouillages ont rendu les personnes hétéronomes, c’est-à-dire dépourvues des capacités de retrouver l’autonomie. Nous avons créé des systèmes gigantesques, indispensables au maintien des conditions de vie de milliards de personnes. Plus les systèmes sont complexes, plus chaque élément devient vital. Plus la fuite en avant continuera, plus la chute sera douloureuse.
En augmentant la connectivité des chaînes d’approvisionnement, en réduisant les stocks à néant, le système économique a gagné en efficacité ce qu’il a perdu en résilience. Les derniers stocks vitaux de pétrole et de nourriture que possèdent les états suffisent pour tenir quelques jours, voire quelques semaines. En 2000, suite à l’augmentation des prix du diesel, 150 camionneurs ont bloqué les grands dépôts de carburant de Grande-Bretagne. Quatre jours seulement après le début de la grève, la plupart des raffineries du pays avaient stoppé leurs activités. Le jour suivant les gens se ruèrent dans les supermarchés pour stocker la nourriture. Des écoles fermèrent leurs portes. Le gouvernement fit appel à l’armée pour escorter les convois de biens vitaux. L’a-t-on seulement su ? En a-t-on seulement le souvenir ?
La leçon est simple : la moindre perturbation a des conséquences importantes sur l’ensemble d’un pays. Très peu de gens savent aujourd’hui survivre sans supermarché, sans carte de crédit et sans station-service. Lorsqu’une société devient hors-sol, la population devient entièrement dépendante de la structure artificielle qui la maintient. Si cette structure s’écroule, c’est la survie de la population globale qui pourrait ne plus être assurée.

5) L’effondrement démographique prévisible
On ne saurait ne pas aborder la question démographique. Le problème, c’est qu’il n’est pas possible d’en discuter sereinement. C’est un sujet tabou et rares sont ceux qui osent aborder la question. Pour l’équipe du Club de Rome, qui a développé au MIT un modèle ancré au système Terre, l’instabilité de notre civilisation industrielle mène à un déclin « irréversible et incontrôlé » de la population humaine à partir de 2030. Pour les Malthusiens, la puissance technique et l’inventivité humaine ont des limites, et nous arrivons à un moment où il devient difficile de continuer la trajectoire que nous avons empruntée depuis le début de la modernité. A chaque poussée démographique, l’étau se resserre, ce qui stimule l’innovation et permet de repousser ces limites. Mais il arrive un moment où la civilisation se heurte à tant de limites (climat, ressources, complexité et politique) qu’elle bascule dans le monde du lugubre pasteur Malthus.
Les pronostics de certains collapsologues ? De quelques millions à 1 ou 2 milliards d’habitants sur Terre en 2100. L’impact d’une population sur son milieu dépend de 3 facteurs : sa population P, son niveau de vie A et son niveau technique T. D’où I = PAT. Mais ne compter que sur une diminution des deux derniers (réduction du niveau de consommation et amélioration de l’efficacité technique) est insuffisant pour infléchir sérieusement notre trajectoire. Non seulement nous n’y sommes jamais arrivés, mais tous ces efforts seraient vains si P continue d’augmenter.
Or, si nous ne pouvons aujourd’hui envisager de décider collectivement qui va naître, pourrons-nous dans quelques années envisager sereinement de décider qui va mourir ?

6) Comment s’en sortir ?
Après une catastrophe, la plupart des humains montrent des comportements extraordinaires. La compétition et l’agressivité sont mis de côté, les « je » deviennent « nous ». Il faut créer ces pratiques collectives, ces aptitudes à vivre ensemble que notre société matérialiste et individualiste a méthodiquement détricotées au cours des dernières décennies. C’est du côté des situations de guerre (donc de pénurie) qu’il faut aller les chercher. Le rationnement peut être considéré comme solidaire dans un monde limité. Et il n’est jamais trop tard pour construire des petits systèmes résilients locaux. Il est possible que nous revenions à une situation bien plus précaire qu’au Moyen Age. Dans ce cas, ce seront paradoxalement les partisans de la croissance qui nous auront fait décroître.

 

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